26 mai 2014


"Suivre comme du doigt la ligne de brume nette
et indécise, tranchante cependant, résiduelle
(la mieux marquer, comblant les vides), qui, si
peu que ce soit, se meut et, sans la blesser,
mord à mi-flanc la montagne.

Lentement s'effiloche, en route vers sa disparition."

"Brumes", Pierre Chappuis
La Rivière Echappée, coll. Babel Heureuse

18 mai 2014


"Après avoir loué une maison près de la porte de Dongzhi, j'ai aménagé ma bibliothèque dans une petite pièce à droite de la principale et, au-dessus de la porte, j'ai écrit ce nom, emprunté à Xu Wei : Cellule de l'Onde de la Littérature.
Quelqu'un m'a dit : "Votre région natale n'est qu'un vaste paysage d'eau. Mais ici, à la capitale, le bruit et la poussière montent jusqu'au ciel et obscurcissent l'éclat du soleil. Il n'y a pas une goutte d'eau, pas plus dans cette pièce qu'ailleurs ; comment s'imaginer y voir une onde ?"
Ermite de ce lieu, je répondis en souriant : "Il ne s'agit pas de la réalité de l'eau. Mais rien, sous le ciel, n'est plus proche de la littérature que l'eau. Elle part soudain tout droit, ou soudain change de cours. Elle couvre et découvre le ciel ; en un instant, une sombre nuée s'étend à l'infini. Ténue, c'est un voile de soie ; en tourbillon, c'est l'œil d'un tigre ; en cascade, c'est un rayon céleste ; dressée, c'est un mont de jade ; déployée, c'est un dragon ; éparpillée, c'est la brume ; inspirée, c'est le vent ; irritée, c'est le tonnerre. Rapide ou lente, nonchalante ou brusque, elle jaillit sous dix mille formes. Voilà pourquoi ce qu'il  y a de plus prodigieux, de plus changeant sous le ciel, c'est l'eau. Né dans une région aquatique, j'ai été habitué à l'eau dès l'enfance, je me crois toujours près de l'eau. J'ai traversé le Dongting, passé le Huaihai, franchi le Taihu ; mon bateau est allée au Yantan ; j'ai exploré les merveilles du Wuxie, parcouru les plus beaux sites des fleuves et des lacs, épuisé toutes leurs métamorphoses. Et désormais, je pense qu'il n'est pas, sous le ciel, d'eau qui ne soit littérature."

Yuan Hongdao,
(1568-1610)
dans "Paysages chinois en prose"

8 mai 2014

"Ecrire à partir de là où le corps  est en extrême 
proximité de soi quand on n'écrit pas.

Corps qui enfle et désenfle selon séquences de
travail, respiration qui traverse ventre cou dos puis se
jette dehors

corps qui allonge ses terminaisons jusqu'au noir qu'il 
touche

pas le mettre à regarder
ni à écouter
le renoncer

le déplacer sous atmosphère de vide jusqu'aux épaisseurs
et profondeurs de frondaisons/extractions d'un
statut réel qu'on conduira en force

avec délicatesse

vers les-mots-qui font présence qui font sens et qui
font sons annonçant ne pas connaître plutôt que 
connaître."


Dominique Dussidour "petits récits d'écrire et de penser"
(éd. Publie Papier)