29 déc. 2017

chapitre xx

Des vêtements et de leur nudité

Leur nudité est double ils cherchent attentivement des 
traces de soi, des différences plus solidement installées 
qu’entre deux chaises. Car s’ils portent une peau de bête, 
ils n’en demeurent pas moins dénués de honte, de dis-
simulation ou de déguisement. Une contradiction dans 
la loi épingle de petits tabliers sur leurs femmes à la 
naissance, génitif nu du prix d’achat, pour faire peur à 
l’imagination. Leur seconde nudité dégaine un manque 
de feuillage, mais quelques noms de plantes ne peuvent 
déranger la conclusion générale à la façon dont le velours 
le fait pour nous.

dessus
dessous 
volant
rabat
peau




Rosmarie Waldrop, "Clef pour comprendre la langue de l’Amérique"
(Trad. Paol Keineg), éd. Héros-limite, 2013 

5 déc. 2017

(…)

"Alors,
j’ai senti les buissons
dans mon ventre,
les renards dans mes seins,
les pieuvres dans mon cou,
les orties,
les graviers.

J’ai senti le volcan.

Alors,
j’ai senti les épines
et les ronces.

J’ai senti la forêt.

Les prairies de mon ventre.

Alors,
je me suis assise
et la nuit est venue sur moi.
Et la nuit m’est venue de face.
Et la nuit m’a cassé les yeux.

Alors,
je me suis couchée
et la nuit n’a rien voulu dire."


Laura Vasquez, "La Forme de ma forêt" (extrait), dans "La Main de la main"
éd. Cheyne (prix de la vocation) 2014.

22 nov. 2017

« Dans un long rêve plein de couleurs, les aigles étaient revenus me chercher. Ils étaient arrivés par l’est, me tirant de mon sommeil sans vie par leurs cris stridents. J’entendais leurs ailes frôler les murs de notre maison, mais ma voix endormie ne trouvait pas le chemin de ma gorge pour leur répondre. Ils semblaient me chercher en haut de la maison alors que je me trouvais en bas. Après avoir tourné des dizaines de fois autour du toit, ils ont fini par comprendre et faire appel au serpent. Le serpent habitant loin d’ici, il fallait l’attendre. Les aigles continuaient de tournoyer autour de la maison, provoquant en moi un frisson revigorant. »

Bérengère Cournut, « Née contente à Oraibi »
éditions Le Tripode, 2016.

12 nov. 2017

« Je referme mon cahier de notes. Il ressemble à une carte routière. Un enchevêtrement de directions que, pour la plupart, je n’emprunterai jamais. Je serais incapable de nommer un tel espace autrement qu’en disant  qu’il constitue désormais le cadre élastique d’une histoire sans début ni fin, mais formant un bloc homogène de fragments qui semble très ancien. Il s’accorde avec cette ville où le délabrement affleure à chaque jointure, révélant un substrat fissuré, usé jusqu’à la corde, le tout baignant dans une lumière dorée, presque tropicale par instants, à laquelle la végétation s’accroche, comme tout ce qui vit ici, à bout touchant d’apocalypse. »

Philippe Rahmy, Monarques
éditions La Table ronde, 2017

30 oct. 2017


« C’est un endroit, ce n’est pas un endroit. C’est une onde, pas une onde. C’est une force, pas une force. Une faiblesse. Non. Ça existe. Non. C’est partagé, ce n’est pas partagé. C’est un trou, non pas un trou. C’est la parole et ce n’est pas la parole. C’est dans les corps, ce n’est plus dans les corps. C’est possiblement sur des épaules depuis deux — bien plus — générations. Seulement. C’est possiblement entre les murs et ça les traverse. »

Esther Salmona, « Amenées"
Eric Pesty éditeur, 2017.

18 oct. 2017

13 NOVEMBRE
Naissance de Robert Louis Stevenson

Une pluie tropicale : un trop-plein de violence.
Silhouette vivante : lui revenaient des fragments
décousus du passé sur la carte du monde.

Benoit Casas, "L’agenda de l’écrit »
éditions Cambourakis, 2017

3 oct. 2017

 & 

les rayons du soleil sont ralentis alors qu’ils pénètrent son atmosphère
son atmosphère est dense, presque aussi dense que de l’eau de mer
à peine touchent-ils sa peau, les rayons
(sa peau est blanche)
ils s’incurvent et se mettent à bouger lentement dans son atmosphère, ils gravitent, décrivent des orbes un peu tordus, très libres, c’est reposant de les suivre des yeux
des orbes tranquilles mais pas vraiment prévisibles, un peu à la façon des abeilles dans la chevelure de Lalla
un autre récit, un autre qui écrit l’atmosphère d’une petite fille, une autre petite fille
je pense souvent à Lalla quand je regarde Albertine, quand mon regard  se laisse aller à ses mouvements, aussi libres qu’aigus

les rayons du soleil opèrent dans son atmosphère une sorte de danse des abeilles
je me demande alors ce que donnerait la danse des abeilles si on la traduisait en danse de petite fille
et ce que donnerait la danse des rayons du soleil pris dans l’atmosphère d’Albertine si on la traduisait en danse des abeilles


Juliette Mézenc, Laissez-passer
Éditions de l’attente, 2016

24 sept. 2017

(72)

la connaissance
que nous croyons avoir de
nous-même
s’échappe vers
une forêt illusoire
s’y tapit
jeune nu(e) bronzé(e) sur
les lourdes feuilles
avant que nous n’atteignions le creux
de la vision diluée au centre
comme si un tendre miroir noir
prenait la place de
la conscience dissout
roue après roue
en mouvement
je ne peux mettre mon nom sur
ce torrent
passe par mes pores


Rosmarie Waldrop, « La route est partout » 1978
trad. Abigail Lang, Éditions de l’Attente, 2011

4 sept. 2017

k. sans vergogne, jongler

k. feindre la fuite : vents
k. inquiet qui danse grand plaisir
k. à tomber en langue, vlang
k. de l’avant et ses blessures
k. n’en a assez c’est aussi un pari
k. la langue la vie qui tourne pas rond
k. des rafales virant épidémies
k. vlang, crevasses, etc.
k. comme histoires de feu, foyer, papiers, etc.
k. pour personne n’y suis sauf mes langues
k. et les vôtres à jongler d’idiotie lente loquace
k. à bousculer pays fossiles sansplanprincipe non
k. vergogne c’est pas du commentaire
k. à la mort à boire <à vif>

Claude Favre, « Métiers de bouche, ijkl »
(Ink et sur Libr-critique)

17 août 2017

« Morris Grave nous fit connaître a Xenia et moi-même une île miniature dans le Pudget Sound près de Deception Pass. Pour y arriver, nous partîmes de Seattle sur environ soixante-quinze miles en direction du nord-est vers Anacortes Island, puis du sud vers Deception Pass, où nous laissâmes la voiture. Nous marchâmes le long d’une plage rocheuse, puis à travers un passage sablonneux que l’on ne pouvait franchir qu’à marée basse et qui menait à une autre île, en poursuivant à travers des bois épais jusqu’à une colline d’où nous pouvions apercevoir ça et là la mer environnante et les îles au loin, pour arriver finalement à une passerelle menant à notre destination — une île pas plus grande que, disons, une maison modeste.  Cette île était tapissée de fleurs et située de telle sorte que l’on pouvait y voir Deception Pass tout entier, comme si nous étions assis aux meilleures places d’un théâtre intime. Nous étions en train de nous reposer sur ce lit de fleurs lorsque d’autres personnes arrivèrent à travers la passerelle. L’une d’elle dit à l’autre : « Et faire tout ce trajet pour s’apercevoir finalement qu’il n’y a rien à voir. »

John Cage, « Silence, Conférences et écrits »
éditions Héros-Limite, Genève 2003. (trad. Vincent Barras)

2 août 2017

"Plutôt que de file, c’est de ribambelle que je parlerais, par quoi s’évoque balancement et le ruban peut être rectiligne ou former  boucle et prendre des formes où nous verrions des nœuds si nous n’étions pas aveuglés, fascinés par nos semblables qui, en l’occurence, ne le sont pas si autistes sont, ce pourquoi il faut s’aviser de l’entre, les uns et les autres n’étant que des points par lesquels passe une ligne imaginaire que tu négliges alors que tu admirerais la moindre trace de civilisation fort ancienne, non pas que cette trace soit admirable par elle-même ; il s’agit quelque fois d’une dent — mais elle était dent de collier — ou d’un tesson que tu mettrais dans la poubelle s’il était tesson de bouteille ou de pot de fleurs ; ce tesson-là remonte à trois mille ans avant J.-C.

Mais alors quelle admiration stupéfaite devrait te saisir à la vue de cette ligne qui passe entre les uns et les autres ou plutôt les parcourt, les réunit bien qu’il ne s’agisse pas d’une réunion ; cette ligne remonte à trois millions d’années et peut-être plus ; l’ordonnancement que tu ne vois pas est pourtant là, plus présent que ne le sont ceux dont tu te demandes s’ils sont conscients de l’être, présents."

Fernand Deligny, Lettres à un travailleurs social
éditions L’Arachnéen, 2017.

15 juil. 2017

« Un petit couteau de cuisine, acheté à Rimini, que tu portes avec toi.  Un tas de sable, quelques cailloux, quelques laisses de mer. La main façonne les volumes, malaxe l’informe, organise le vide en espace, en territoire. Puis le couteau dessine les angles, les portes, les fenêtres, les créneaux (pourquoi toujours la fortification : contre quelle menace ?) Les curieux, les enfants s’approchent. Tout le monde est fasciné par les châteaux de sable. Ce sont des maquettes. Ce sont des cartes, des souvenirs. Ce sont des possibles. Et tu es un doge, tu es un démiurge. Ici une calade, là un ponton ; il faut songer à la circulation de l’eau. Et puis il y a la mer. On construit rarement des châteaux de sable qui ne soient pas face à la mer. Les gradins des escaliers, couteau ; un ensemble de terrasses jardinées, couteau ; une nouvelle porte, une meurtrière, une fenêtre, couteau, couteau, couteau.

Les gens se poussent du coude. Une gamine apporte un crabe vivant, un gamin des coquillages, pour décorer les murailles, les parvis. Le château est de plus en plus grand, c’est une petite cité. Il faut encore des tunnels (les doigts dans le sable humide qui excavent, puis les doigts qui touchent d’autres doigts), et puis il faut des ponts, des arcades. Une bouteille enfouie fera une salle vitrée. Et que fait-on de l’eau ?

Si on les comprend finalement, les châteaux de sable, si donc on accepte que ces éminentes dentellières se réduisent à nouveau à une motte brute, puis enfin à une simple surface lissée par les ondes, on accueille d’autant mieux les images de ruine et de mort qui décorent aujourd’hui les civilisations du passé, amoncelées sous forme de villes. »


Benoît Vincent, GEnove villes épuisées
éd. Le nouvel Attila, Othello.

7 juil. 2017

« Elle pose une main sur son front. Et l’autre main sur
son cou. Elle tient sa tête de ses deux mains (d’une
drôle de façon). C’est une drôle de façon de se tenir
la tête. Mais c’est tout ce qu’elle a trouvé comme
geste. C’est le seul geste trouvé à ce moment-là de sa
vie. Elle sourit. Elle sourit de soulagement (c’est une
drôle de façon d’être soulagée). Elle pourrait pleurer
de soulagement. Elle pourrait soupirer de soulage-
ment (non ce n’est pas comme ça). Là elle est juste
soulagée et épuisée. C’est tout ce qu’elle a trouvé de
ressources en elle pour exprimer son soulagement.
Elle a traversé un continent à pied. Elle est debout
dans sa robe et son pull (les manches sont relevées 
jusqu’aux coudes). Elle porte des tennis. Et c’est dans
cette robe et ce pull et ces tennis qu’elle a parcouru des
milliers de kilomètres. Elle se tient donc comme ça
(on voit ses veines saillantes sur ses bras et ses mains).
Elle tient son corps fatigué par la tête. Elle tient son
corps debout. C’est tout le paysage qu’elle tient (et le
ciel derrière).

Sophie G. Lucas, "Moujik Moujik »
éd. La Contre Allée (ré éd. 2017)

28 juin 2017

bâche,

je fouette l’air quand il
fait vent je ranime
les lieux
je bleu je
plastique le pays
age
ça me soulè
ve le coeur
de voir des hom
mes prendre racine
finissent par
ne plus voir que
c’est moi
leur toit
je claque a
lors plus
fort plus haut
je re
mue le ciel
ne sent
rien


Sophie G. Lucas « Moujik Moujik »
éditions la Contre Allée (réédit. 2017)


12 juin 2017


« Je suivis cette bande quelques semaines durant. Je n’avais jamais vu un foutu lot de personnes si improbables. Sukmit était le seul shaman reconnu, mais il n’avait rien d’un meneur. Il n’était pas chef, pas weheelu, pour eux. Nous circulions dans les broussailles. Nous nous arrêtions n’importe où, manifestement d’un commun accord. Nous nous arrêtions dans la broussaille. Il y avait toujours une source à proximité. Je ne savais jamais où nous allions. Nous allions quelque part. Je ne m’en souciais pas du tout. Nous allions quelque part, peut-être. Et si nous n’allions pas quelque part, nous n’y allions pas, et voilà tout. Le soir, nous faisions un feu, plusieurs feux (il y avait plusieurs familles parmi nous). Le matin, nous reprenions la route. Je ne sais pas où nous allions. Je ne pense pas que les Indiens l’aient su. Nous faisions une belle procession parmi les armoises, les six ou sept que nous étions, ma voiture traînant en dernière position. Je ne savais pas où nous allions, personne ne semblait savoir où nous allions, la nuit tombait sur nous, les feux s’éteignaient. Les coyotes commençaient à aboyer dans la broussaille. Les chiens indiens hurlaient en réponse. Et tout se consumait dans l’obscurité. »

Jaime de Angulo, « Indiens en bleu de travail », 1996.
traduction Martin Richet (2014)
éditions Héros-Limite

25 mai 2017


« De l’espoir était parti avec l’horizon. On vous retire d’abord le pied, l’usage du pied, la jambe, puis l’autre pieds, le genou. Ainsi du reste. L’insignifiance prend la place. L’insignifiance grandit. On va vers plus d’insignifiance.
Au bout, la vraie fin : le comble de l’insignifiance.
Marche ôtée, grimper ôté, descendre ôté et sauter et courir, j’étais constamment tenu de prendre garde.

Imaginer n’avait pas encore été ôté. Dans ma chambre j’évoquais des pieds immenses, avec des pas de géant, des jambes qui n’en finissaient pas, d’une agilité inconnue. Jambes confinées d’un côté, libérées d’un autre. Avec une nouvelle agilité celles-ci et une sureté de funambule. Qu’est-ce qu’elles avaient comme mouvements ! Et promptes à les exécuter. Et infatigables. De vraies machines, mais souples, actionnées à mes seules envies. J’avais seulement tendance à trop me répéter. Tous les jours je pouvais reprendre mon numéro de jambes démesurées, manœuvrant, tricotant dans l’espace, un espace abstrait. »


Henri Michaux, « Comme un ensablement »

15 mai 2017


« Tout le monde n’est pas géographe, n’est pas Julien Gracq ni Claude Simon. Tout le monde constate l’épaisseur des terres, des strates, des cultures, épaisseur venue de notre ignorance (comment cultiver, quels sont les noms, les gestes?). Tout le monde regarde les usines en ruine et les éoliennes. Et lorsque le paysage est nouveau (si cela arrive encore) des promesses sautent au visage. On pourrait aller là, là, là, maison dont la fenêtre donne sur un banc, une salle fraîche. On pourrait longer des rivières, désosser une voiture, plonger. Se rendre au cimetière, dans une cour d’école, voler le drap qui sèche, toutes choses qu’on ne fait jamais. Mieux : être le drap qui sèche, petit clac dans le vent, et sa pince à linge qui s’épuise. Se réincarner en bidon d’essence, en silo. Devenir pistache, émeraude, blé mur et s’émerveiller des autres couleurs.
Un merle m’engueule dans le jardin.
Fermant à demi le ciel, trois palmiers.
Devant, un figuier, poussé dans un mur.
Des orties. Des mouches très jeunes.
Où est-il, enfin, l’immuable, dans ce lieu de destination ? Dans l’épaisseur des troncs ? Le temps pris par le figuier pour nicher dans le mur ?

Ecrire sur ce qui vient. Voir ensuite. »



Anne Savelli, Décor Daguerre
(éditions de l’Attente, 2017)

3 mai 2017


« Le paysage ne m’intéresse plus
   Mais la danse du paysage
   La danse du paysage
   Danse-paysage
   Paritatitata
   Je tout-tourne"

Blaise Cendrars, "Ma Danse" in "Dix-neuf poèmes élastiques »

20 avr. 2017

Les enfants sont revenus à la vie : devant eux un monde d’êtres vivants fourmille
Devant eux le monde fait du bruit, des êtres vivants s’agitent
La rivière de l’oncle Oloyailer s’ouvre
La rivière de l’oncle Oloyailer flamboyante s’écoule
Les enfants contemplent la scène devant eux
Les enfants s’avancent dans l’espace vide
Les enfants descendent jusqu’au milieu de la rivière
La rivière de l’oncle Oloyailer s’ouvre
La rivière s’étend avec des baies et des criques comme s’il y avait des rochers
La rivière s’étend avec des baies et des criques comme s’il y avait des algues
Le vent de la rivière de l’oncle Oloyailer se met à souffler
Le vent de la rivière dessine des rides sur le sol

Extrait de INATOIPIPPILER (par Akkantilele) (Indiens Cuna)

« Les Techniciens du sacré », anthologie de Jérome Rothenberg, version française établie par Yves Di Manno
José Corti éditeur, 2007

27 mars 2017

"…
Rêver d’être allongé au milieu des pierres qui roulent.
Rêver d’être allongé dans une cavité profonde.
Rêver d’être allongé sur la pente d’une montagne.
Rêver d’être allongé dans la jungle ancestrale.
Rêver d’être allongé dans une jungle très épaisse.
Rêver d’être allongé dans un lacis de jeunes lianes.
D’être allongé malade et suffocant.
Rêver d’être allongé dans l’atelier d’un forgeron.
Rêver d’être allongé au milieu des tambours qui roulent,
le tambour du démon plat.
Rêver d’être allongé au milieu des feuilles mortes.
Rêver d’être allongé dans le terrier d’un petit porc-épic.
Rêver d’être allongé sur la piste d’un sanglier.
Rêver d’être allongé dans l’étang du daim.
D’être allongé au sommet d’une fourmilière
allongé au sommet d’un monticule de fourmis blanches.
Rêver d’être allongé sur un tronc pourri.
Rêver d’être pourchassé par un serpent.
Rêver qu’un loup hurle à vos trousses.
Rêver que les chiens des démons hurlent à vos trousses.
Rêver d’être allongé dans un abri de chasse.
Rêver de dormir au pied d’un aréquier."

{peuple Bidayuh, Sarawak - Malaisie}
UNE LISTE DE MAUVAIS RÊVES CHANTÉS POUR COMPRENDRE & GUÉRIR LES ÂMES ERRANTES
« Les Techniciens du sacré », anthologie de Jérôme Rothenberg
version française établie par Yves di Manno (José Corti, 2007)

13 mars 2017

« Le temps est un trapèze raffiné, délicat et extensible, un véhicule abstrait et intact pour un futur véritable qui se déroule également maintenant. 
Grimpez à sa corde soyeuse avec un maquillage antique et le muscle luisant pour savoir que l’idée du tempo est réelle. » 

Lisa Robertson, Le temps
Nous éditions, 2016 (pour la traduction par Eric Suchère)

2 mars 2017


« J’ai tous ces pas quelque part dans mon crâne, s’il est vrai que dans le souvenir rien ne se perd, mais disparaît seulement momentanément à la vue. Je suis assez tenté de croire à cette hypothèse invérifiable, qui me semble apporter une explication apaisante à l’espèce de bruit de fond d’images, dont je me sens, pendant ces déambulations, envahi. »

Jacques Roubaud, "Poésie : »
éd. du Seuil, coll. « Fictions et Cie », 2000

20 févr. 2017


"15 février
modèle d’extension :
cartographie.
voyage les yeux attachés au sol.
couché dans l’herbe calcinée
la face contre terre.
éclosion d’un camélia.
plaisir accru de rentrer lire.
je lis à voix haute des heures et des heures.
autre chose presse.
innover dans sa langue
en atteignant son but.
remplir de suc tes réserves.
j’ai rompu le silence.
à mots couverts.
comme l’insecte qui bourdonne
autour de la lumière.
à moins que ce dégoût des mots
ne soit une sorte de fuite."


Benoit Casas, « L’ordre du jour »
Seuil, "Fictions et Cie », 2013.

13 févr. 2017

A poem
A tree / does some / thoughts / and / thinks / it doesn’t / look good / for us / in a grocery store / a man / on the television / says / I’m pretty good / at doing stuff / no one believes / him / years from now / we’ll find out / he only got / one vote / you were / the only one / everything else / lied / or / was fake / be alone / crawl in a hole / never open / your brain / again

Mark Baumer

6 févr. 2017

« Ma maison a t-elle tenu, dans la dernière tempête ? » C’est une carte de vœux, au dos de la reproduction d’un de ses tableaux, Tremblement du temps. Beaucoup plus que l’image, c’est le tremblé de sa grande écriture qui saute aux yeux. « Je ne peux plus marcher, je ne reviendrai plus », dit-il.

Tout au fond de cette petite rue, c’est la dernière maison à gauche. C’était la maison d’un meunier autrefois. Au bout du mur de pierres sèches, sous l’arbuste au nom exotique, torturé par le vent, la barrière à claire-voie est restée entrouverte, il suffit de la pousser pour entrer dans le jardin minuscule, pris entre la maison et des appentis bas, quadrillé de cordes à linge. Il n’y a pas de volet sur la porte, vitrée à mi-hauteur. À l’angle d’un carreau est encore coincé le carton sur lequel il demandait si poliment au visiteur de ne pas frapper avant 16 heures. Sa grande écriture magnifique a été totalement bouffée par le soleil. En se penchant on voit dans l’ombre, entre la table et la cheminée, une silhouette claire : c’est sa veste de toile, enfilée sur le dossier du grand fauteuil de bois.
Il était assis là, en bras de chemise, une chemise d’un beau violet, roulant une cigarette, expliquant ce que l’avait séduit dans ce pays : « Cette lumière qui change tout le temps, qui se remet en question tous les quarts d’heure, ce vent qui compte autant que les rochers. Mais la lumière surtout : avant d’arriver, à des kilomètres on la reconnaît ! »

Il disait encore : « Cela n’existe pas, les vieux peintres : chaque nouvelle peinture est une naissance, une renaissance, on a l’âge de sa dernière peinture ! » Ces grandes toiles, ces éclairs bleus et rouges, entrechoqués, vibrants, ces déferlements, cette berlue : « Ah non, ce n’est pas abstrait ! » s’écriait-il. Il est vrai qu’à vélo, dans l’effort contre le vent, ou tout en haut d’une côte, parfois, on voit des Bazaine.

Jean-Pierre Abraham,  « Ici Présent »
éditions Le temps qu’il fait, 2001.


23 janv. 2017


« Ce que j’ai vu le plus
au cours de mon existence 
c’est le dos de ma main
en train d’écrire


En treize années
de lycée
je ne me suis jamais
battu
j’étais un lâche
convaincu


Une seule fois dans ma vie
j’ai pris du poids
j’étais à la guerre


Dans mon jeune âge
Et plus tard encore
j’aimais arpenter les rues
pour rien
pour marcher


Ce qui arrive c’est que des copeaux
passent dans ma mémoire
comme des nuages dans le ciel
au bord de la mer »


Fernand Deligny, « Essi & Copeaux » 
éditions Le Mot Et Le Reste, 2005.