23 sept. 2013


"Je pourrais trouver un terrain d’entente avec moi-même, je pourrais continuer à être heurts et bouts de matières entamées, je pourrais accepter d’être ce que je suis vaillamment sans nécessairement faire de bruit, inondant des plaines morbides, chassant des oiseaux de toutes races sans noircir les plumes, je pourrais continuer à transporter mon nom de carrière en carrière, usant ma peau, pleurant mes pieds de temps en temps, je pourrais continuer à dévoyer le sens des morceaux sans me confondre avec eux, mais si j’allume un feu maintenant, ce sera trop tôt et les autres ignoreront à quelle fin je le fais."

Dorothée Volut, Alphabet
Erci Pesty éditeur, 2008

5 sept. 2013

"Alors fous-moi la paix avec tes paysages ! Parle-moi du sous-sol !"

Samuel Beckett, “En attendant Godot”

28 août 2013




"Dans les clairières on contemplait le ciel blanc, rêveur et paresseux qu’on avait l’impression de voir plonger et d’entendre jubiler comme des oiseaux jubilent, des petits oiseaux qu’on ne voyait jamais et qui s’intégraient naturellement à la nature. Des souvenirs revenaient et on ne voulait pas les analyser et les interpréter, on n’en était pas capable, cela faisait doucement mal, mais on était trop paresseux pour ressentir entièrement une douleur. On allait comme ça et puis on s’arrêtait à nouveau et puis on se tournait de tous les côtés, regardait au loin, vers le haut, au-delà, vers le bas, par-dessus et vers le sol, et puis on se sentait touché par l’immense langueur de cette floraison. Le bourdonnement dans la forêt n’était pas le bourdonnement dans la clairière plus nue, c’était différent et exigeait qu’on se place autrement pour de nouvelles rêveries. Il fallait toujours lutter avec cela, faire front, refuser en silence, réfléchir et hésiter. Car tout était hésitation, effort et sentiment de faiblesse. Mais c’était charmant comme ça, juste charmant, un peu pesant, et puis à nouveau un peu chiche, puis hypocrite, puis rusé, puis plus rien, puis complètement idiot ; finalement c’était très difficile de trouver encore quelque chose joli, on ne voulait pas s’y sentir obligé, on restait assis, on allait, on flânait, on errait, on marchait et on s’attardait comme ça, on était devenu un morceau de printemps."


Robert Walser "Les enfants Tanner", 1907

20 août 2013



"Tout va bien avec les tempêtes. Presque un soulagement. J’écoute. La corne de brume propulse ses ondulations dans le ventre. Les faisceaux du phare tournent avec régularité. De l’homme au soleil, il n’y a qu'un pas. Le doigt sur l’interrupteur, la cage d’escalier ressemble à un jeu de dominos orangé. Mon corps est l’endroit où le voyage recommence. Broyée par les vents, j’attrape la bouteille de plastique sur la table de cuisine, défais le vélo des toiles d’araignée du hangar. Le phare enfonce ses rayons dans un voile de lande. Cassure végétale des manteaux sous la tourbe."


Laure Morali, "Comment va le monde avec toi "

27 juil. 2013



"Je ne connaissais personne dans la ville. Avec inquiétude, je jetai le grappin dans ma poche pour la sonder, et n'en tirai que quelques pièces d'argent. "Donc, où que tu ailles, Ismaël, me dis-je à part moi, arrêté au milieu d'une rue solitaire, mon sac sur l'épaule, et, comparant l'obscurité côté nord aux ténèbres côté sud, où que dans ta sagesse tu décides de loger pour cette nuit, mon cher Ismaël, ne manque pas de t'informer des prix et ne sois pas trop difficile."

Herman Melville, "Moby Dick"'

21 juil. 2013


"Dans ce livre on trouve au travail un être “souterrain”,
de ceux qui forent, qui sapent, qui minent. On le voit,
à condition d'avoir des yeux pour un tel travail des pro-
fondeurs, — on le voit progresser lentement, prudemment,
avec une douceur inflexible, sans trahir à l'excès la détresse
qui accompagne toute privation prolongée de lumière et
d'air; on pourrait même le dire satisfait d'accomplir ce
sombre travail. Ne semble t-il pas qu'une sorte de foi
le conduise, de consolation le dédommage ? Que, peut-être,
il désire connaître de longues ténèbres qui  ne soient qu'à
lui, son élément incompréhensible, secret, énigmatique,
parce qu'il sait ce qu'il obtiendra en échange : son propre
matin, sa propre rédemption, sa propre Aurore ?..."

Friedrich Nietzsche, "Aurore"

12 juil. 2013

"Ce qui serait bien, c'est que nos jours, d'eux-mêmes, se rangent derrière nous, s'assagissent, s'estompent ainsi qu'un paysage traversé. 
On serait à l'heure toujours neuve qu'il est."

Pierre Bergougnioux, "Miettes"

2 juil. 2013


   De l'avion les champs récemment moissonnés ou déchaumés où les passages des tracteurs ont laissé des rayures parallèles comme si quelque gigantesque peigne s'était appliqué à les tracer arrondissant les angles enchâssant parfois quelque roche ou quelque bosquet jade comme ces jardins sacrés au Japon où le sable est rituellement ratissé mer figée fauve aux vagues parallèles et immobiles autour de pierres laissées tombées  ici et là par un dieu raffiné

d'autres à peine  assez grands pour quelques arbres trois pins un bouleau



"Archipel", Claude Simon

18 juin 2013


"Je dis tout simplement qu'un radeau n'est pas une barricade et qu'il faut de tout pour qu'un monde se refasse. Un radeau, vous savez comment c'est fait : il y a des troncs de bois reliés entre eux de manière assez lâche, si bien que lorsque s'abattent les montagnes d'eau, l'eau passe à travers les troncs écartés. Notre liberté relative vient de cette structure rudimentaire dont je pense que ceux qui l'ont conçue — je veux parler du radeau — ont fait du mieux qu'ils ont pu, alors qu'ils n'étaient pas en mesure de construire une embarcation. Quand les questions s'abattent, nous ne serrons pas les rangs — nous ne joignons pas les troncs — pour constituer une plate-forme concertée. Bien au contraire. Nous ne maintenons du projet que ce qui du projet nous relie. Vous voyez par là l'importance primordiale des liens et du mode d'attache, et de la distance même que les troncs peuvent prendre entre eux. Il faut que le lien soit suffisamment lâche et qu'il ne lâche pas.
Fernand Deligny, "Le Croire et le Craindre"

10 juin 2013

"Les choses qu'elle voyait semblaient incertaines — pas incertaines mais changeantes, en pleine métamorphose, quelque chose qui est aussi autre chose, mais quoi, et quoi."

Don Delillo, "Body Art"

24 mai 2013

"La vie offre un fragment parfait d'elle-même au Karen's Café ( à Shelby, Montana). "Qu'est-ce que je sers à ces charmants messieurs par cette charmante journée ?" demande la serveuse morose. Et je me dis : Quelle horreur ce serait de vivre à Shelby. Si j'y vivais, pourtant, la vie ne me serait ni plus ni moins agréable qu'ailleurs. En attendant, quelle perfection que de transiter par Shelby avant de me ruer vers la voie ferrée quand j'entends un train aboyer dans la nuit ! Avec ma dulcinée, je campe  près de Shelby, au milieu du vent, du feu et de la lune, parmi la pluie de flammèches et l'odeur suffocante de la fumée, les rafales de vent délicieuses, les taches de nuages dans les montagnes, la nuit ; bref, je me suis échappé de Shelby."

William T. Vollmann "Le Grand Partout"

6 mai 2013

Je fuis devant, je fuis derrière, je fuis en haut et en bas, à l'intérieur. J'abandonne des tonnes de souvenirs, comme ça, très facilement, et je les laisse derrière moi. Je traverse des séries de décors, hautes parois de cartons sur lesquelles sont peints les mensonges de la vie vue par les hommes :
les champs d'herbe verte où passe le vent
les maisons aux volets fermés
les villes blanches sous le soleil
les serpentins des lumières magiques
les rues désertes
les parcs, les jardins, jungles, marécages où flotte la mince vapeur, les Cafés pleins de jambes et de mains, les temples, les tours de fer, les hôtels aux vingt étages capitonnés de feutre, les autoroutes où foncent les voitures aveugles, les hôpitaux, les fleuves, les plages de galets, les noires falaises où sont assis les oiseaux, les."


J.M.G. Le Clézio, "Le livre des fuites" 1969

22 avr. 2013


"Rayon enfantillages, broutilles, riens.
  Rayon drogue, addiction, envoûtement, sortilège.
  Rayon suffocation.
  Rayon y croire, ne plus y croire, tirer un trait.`
  Rayon y revenir.
  Rayon tout est signe, déductions et calculs.
  Rayon oubli, vieillesse, amertume, sagesse : n'est pas encore ouvert."

Anne Savelli, "Décor Lafayette" 2013

15 avr. 2013


"Ceux qui sont immobiles sur la terre errante : les voyageurs.
 Ceux qui fuient sur la terre immobile : les sédentaires. 
 Mais ceux qui fuient sur la terre errante, et ceux qui sont immobiles 
 sur la terre immobile : comment les appeler ?"

JMG Le Clézio, "Le livre des fuites", 1969

2 avr. 2013


"On pourrait dire l’ignorance est un doigt, on touche
avec. On met toute sa tête dans le geste : on dévale."


Armand dupuy

23 mars 2013

JAMAIS

QUAND BIEN MÊME LANCÉ DANS DES CIRCONSTANCES
ÉTERNELLES


    DU FOND D'UN NAUFRAGE


[EXTRAIT] Stéphane Mallarmé, "Un coup de dés jamais n'abolira le hasard", 1897

14 mars 2013



"Ça rend sauvage l'écriture. On rejoint une sauvagerie d'avant la vie. Et on la reconnaît toujours, c'est celle des forêts, celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, distincte et inséparable de la vie même. On est acharné. On ne peut pas écrire sans la force du corps."

Marguerite Duras, "Ecrire"

26 févr. 2013


"C'est parfois comme si j'avais perdu
 la trace
    je retourne dans mes pas

                    mais il n'y a plus que
 l'aile
    et l'arbre.
    Et je me retrouve

                   parmi les oiseaux
 que le ciel,
    le linge.
    Le drap.
 Comme si j'avais suivi une maison,
    Une parole hospitalière.
  Mais jusqu'à trouver la
 terre puis de l'eau."



Thierry Metz, "notes sur le chemin", 1995.
Un pain. Une bouteille. Un citron.
Un bouquet de roses blanches dans un vase bleu.
Oui, j'en ai assez de nos histoires d'hommes. Je n'écrirai plus que des natures mortes."

Eric Chevillard, "L'autofoctif"

4 févr. 2013


"Le harfang des neiges survole la toundra, perçant la nuit polaire de son vol silencieux et blanc, survole des étendues de roches et de neige glacées, des lieux inhabités que l'homme ne cherche pas à conquérir, des lieux qu'il juge hostiles, ou qui servaient parfois de pénitencier, ou attirèrent un jour quelques ermites désireux de silence et de recueillement — il survole ces lieux à la recherche d'une proie."

Cécile Wajsbrot, "Mémorial"

21 janv. 2013


"Mais laissez-moi traverser le torrent sur les roches
Par bonds quitter cette chose pour celle-là
Je trouve l'équilibre impondérable entre les deux
C'est là sans appui que je me repose."


Saint-Denys Garneau, "Regards et Jeux dans l'espace", 1937

4 janv. 2013


"Convoquer telle phrase de tel auteur autour d'un simple mot, le mot égaré chez Duras, le mot épuisement chez Claude Simon, le mot poids chez Artaud. Ils sont là comme un champ de tension, ils appellent, ils contaminent."

"Que cherchions nous pourtant, dans la nuit enfin ouverte, au bord de l'estuaire noir, un peu plus tôt, à discuter du vide qu'il faut pour que naisse la parole ou qu'advienne son partage, et du chemin qu'on se fraie vers les îles en hiver ?"

"Nous marchons dans notre propre nuit parce qu'un autre devant nous y marchait, qui n'avait pas choisi d'avancer là."


François Bon, "Tumulte", 2006

28 déc. 2012

"C'est un voyage — on le commence ensemble
parfois à rebours
ces jours-là et nuit
on revient sur nos pas
Sont ensemble, à un moment     même lointain
je prends ce moment-là "

Fabienne Courtade, "Le même geste"

9 déc. 2012

les plis des vêtements
sont les mêmes
que les plis du paysage



Fabienne Courtade, "Le même Geste", 2012

26 nov. 2012



9h50
je me rappelle un poncho de grosse laine aux couleurs de l'automne, un résumé du paysage ou en abyme

16h27
le vent qui travaille dans les hauteurs a des raisons que je ne connais pas mais font du bien au potentiel esthétique



 le 2 novembre 2012, Rentilly
"Monostiques paysagers" de Jacques Jouet

15 nov. 2012

"Quand on marche
  dans les aubes
  d'un continent vieux
  il arrive
  que des ancêtres nous bousculent"

  

 Laure Morali, "La terre cet animal"

7 nov. 2012



"— Il y a des petites voluptés qui ont été pour nous, 
comme, sur les bords des routes, ces petits fruits de 
maraude, aigres, et qu'on aurait voulu plus sucrés."


A.Gide, "Les Nourritures Terrestres"

9 oct. 2012

" — Dans une vapeur de chaudière, confirmées dans leur tranchant, des arêtes qui s'aiguisent ; dans la sueur de pierre et de métal, qui inventent un rasoir inexorable, le fil transparent et sombre de l'obsidienne, la nuit devenue couteau."

Roger Caillois "Minéraux", in "Pierres", 1970

27 sept. 2012


"Lui.— Un jour, dans ma chambre, je regardais une serviette posée sur une chaise, alors j'ai vraiment eu l'impression que, non seulement chaque objet était seul, mais qu'il avait un poids — ou une absence de poids plutôt — qui l'empêchait de peser sur l'autre. La serviette était seule, tellement seule que j'avais l'impression de pouvoir enlever la chaise sans que la serviette change de place. Elle avait sa propre place, son propre poids, et jusqu'à son propre silence. Le monde était léger, léger..."

Jean Genet, "L'atelier d'Alberto Giacometti"

17 sept. 2012


"Pour un rien, pour un rien à nique
au ciel, des fois la gravité.
Malicieuses."

Claude Favre, "Interdiction absolue de toucher les filles même tombées à terre"

10 sept. 2012

"Quelque part quelqu'un est chien et aboie à la lune


Quelqu'un est né chinoise et maintenant elle a dix-sept ans

Quelqu'un c'est une blonde et sa sœur est vive, véritablement pétulante

Quelqu'un son père est Highlander

Quelqu'un... et puis ça lui a retenti sur les reins et maintenant fini, il dit qu'il aime 

autant mourir à l'hôpital

Quelqu'un il a de grosse solives à sa maison

Quelqu'un, il veut encore un peu de crème. (...) "



Henri Michaux, "Quelque part quelqu'un"

27 août 2012


" _ Omar Khayyâm regarde les mouches la poussière
ivre de et pour rien si tu savais et en langue persane
devrais te lire ne pas ciller l'amour avaler boue mots
acte d'accusation avaler boire acte inchoatif boire plus
qu'un choix symptôme plus qu'une pensée acte en
quatrains pourquoi pas dont on dit que c'est poème "


Claude Favre, "Vrac conversations," 

19 août 2012

"Je suis un moment à secouer l'incrédulité bienheureuse où me plongent les biens élémentaires qui me sont rendus, la paix, la solitude, les bois, l'océan d'air, le vert, les ruisseaux."

Pierre Bergounioux, "Carnet de notes 1980-1990"

30 juil. 2012

"On sent la courbure de la terre. On a désormais les cheveux qui ondulent naturellement. On ne trahit plus le sol, on ne trahit plus l'ablette, on est soeur par l'eau et par la feuille. On n'a plus le regard de son oeil, on n'a plus la main de son bras. On n'est plus vaine. On n'envie plus. On n'est plus enviée.

On ne travaille plus. Le tricot est là, tout fait, partout.

On a signé sa dernière feuille, c'est le départ des papillons."

Henri Michaux, "La Ralentie", "Plume".

7 juil. 2012

"C'est un jour comme celui-ci, un  peu plus tard, un peu plus tôt, que tout recommence, que tout commence, que tout continue."

G.Perec, "Un homme qui dort"

27 juin 2012

"Il était une fois un homme roux, qui n'avait d'yeux ni d'oreilles. Il n'avait pas non plus de cheveux  et c'est par convention qu'on le disait roux.
Il ne pouvait pas parler car il n'avait pas de bouche. Il n'avait pas de nez non plus.
Il n'avait même ni bras ni jambes. Il n'avait pas de ventre non plus, pas de dos non plus, ni de colonne, il n'avait pas d'entrailles non plus. Il n'avait rien du tout ! De sorte qu'on se demande de qui on parle.
Il est donc préférable de ne rien ajouter à son sujet."

Daniil HARMS, "Faits Divers"
(7 janvier 1937) Cahier Bleu  n°10

14 juin 2012

"Il règne ici la paix qui succède aux profonds cataclysmes, quand leur souvenir même est perdu, et que le ciel de nouveau préhistorique pâture avec une lenteur innocente l'ampleur en fin de compte extatique du dégât.
L'être antérieur au temps contemple avec les yeux de ma tête, mes jambes le soulèvent et le transportent machinalement sur un remblai. J'y cherche en vain le soleil dans cette pulvérisation de la lumière, un peu plus dense au bout des rails aplatis vers le nord."

Jacques Réda, "Les ruines de Paris", 1977

4 juin 2012

" Deux sœurs à particule vivaient parmi les immondices."
                                          
"Remerciements posthumes à M.Emile Locati pour son don généreux à l'A.S.J.F.T.N."
                                        
"M.Patel nous signale que les branches de son prunier ont été si fortement courbées par l'orage qu'elles rejoignent sa rhubarbe.
Toute notre sympathie."
                                     
"Le savon de Marseille était en réalité un réveille-matin !"


Béatrix Beck, "En bref, Faits divers et avis"

26 mai 2012


"Trois vesces-de-loup poussées spontanément dans le pré de
M.Nantel forment un parfait triangle équilatéral. Nos félicitations
pour cet heureux présage."


Béatrix Beck, "En bref, Faits divers et avis"

15 mai 2012

"Je marche, dit Suttree.
Vous marchez, dit-elle. Mais vous ne savez pas où vous allez."

Cormac Mc Carthy, "Suttree"

30 avr. 2012


"-L'attente ? Vous l'attendiez donc ?
-C'est à dire...
-Ici ? Sur mes terres ?
-On ne pensait pas à mal.
-C'était dans une bonne intention.
-La route est à tout le monde.
-C'est ce qu'on se disait."

S.Beckett "En attendant Godot"

19 avr. 2012


"... tout cela recouvert par un entrelacs de ronces, d'arbres à papillons, d'ambroisies, d'orties et de chardonnerets et parcouru par une faune timide : lapins, canards, grenouilles dans les mares entre le périphérique et le bassin d'Aubervilliers, rats le long des voies ferrées, chats et chiens errants, hirondelles, pigeons, et même des renards — on retrouve de semblables arches de Noé sur les plates-bandes qui cernent les aires de repos des autoroutes : protégées de toute intrusion par le glacis de la circulation d'un côté et de hauts grillages de l'autre, ces jardinets constituent les dernières zones véritablement sauvages du monde occidental."

Philippe Vasset, "Un livre Blanc" 2007

6 avr. 2012

"Plusieurs aussi sont là, au beau milieu de leur époque, mais Carcasse particulièrement est au seuil, caresse du pied le seuil et se tient là, avec au visage une impression d'absence qui cloche beaucoup avec le reste."

"Alors Carcasse", Mariette Navarro, 2011

30 mars 2012

"Il y a un terrible gris de poussière dans le temps
Un vent du sud avec de fortes ailes
Les échos sourds de l'eau dans le soir chavirant
Et dans la nuit mouillée qui jaillit du tournant
Des voix rugueuses qui se plaignent
Un goût de cendre sur la langue
Un bruit d'orgue dans les sentiers
Le navire du cœur qui tangue
Tous les désastres du métier ..."


Pierre Reverdy, "Chemin Tournant", 1929

17 mars 2012

"Sans surprise, le terrain est déjà habité si on tient compte de l'épaisseur des choses. Comme toujours. Gardons à l'esprit ce qui grouille en dessous et occupons humblement la surface."


Denis Lachaud, "L'homme Inepuisable", 2011

7 mars 2012

"Est-ce une danse
Que nous infligent
Les mots, les couleurs ?

Non, car la danse
Se contente d'elle-même.

Nous deux
Nous voulons trouver."

Guillevic "Relier"

26 févr. 2012

"Ainsi le temps nous fait l'un pour l'autre Antigone
Non point l'âge mais l'âme en quête du royaume (...)"


H.Bauchau, Les Deux Antigone, 1982

17 févr. 2012

"DOUCE FRANCE, aux extraits naturels de plantes, sodium, aqua, glycerin, vaseline, alcohol, etidronic acid, benzyl salicylate, prunus, citronnellol, eugenol, petrolatium, ne pas avaler, ne pas laisser à la portée des enfants, éviter tout contact avec les yeux."


Philippe Adam, France Audioguide

8 févr. 2012

"Il y a eu ce moment je me souviens où je me suis dirigée vers le fleuve et me suis mise à marcher sur le chemin, et alors j'ai vu l'oiseau filer bas dans le ciel dans un sens puis dans l'autre et j'ai dû me dire que ça commençait, que là dans tout ce froid et ce gris et la solitude du chemin, comme sur la scène d'un théâtre dans la hâte et l'obscurité s'installent de nouveaux décors, calmement, à pas feutrés et venus d'on ne sait quelles profondeurs quelque chose prenait place."

Michèle Desbordes, "Les Petites Terres" 2008

1 févr. 2012

"Je me souviens d'avoir regardé l'oiseau, de m'être demandé ce que je faisais à une heure pareille sur un chemin où je ne venais jamais et ne m'étais pas même dit que je venais, n'ayant bientôt plus à voir dans le ciel bas, plombé, que les tours de la centrale, l'épaisse, lourde fumée blanche qui se mêlait aux nuages et le bois qui de ce côté longeait le chemin, cachant le village, les petites maisons basses par où j'étais venue, les jardins derrière les murs."


M.Desbordes, "Les Petites Terres" 2008

14 janv. 2012

"Ici et maintenant, là et ailleurs, on attend le bus. L'arrêt est devant le café. On sent la poussière. Le ciel est très bleu. L'air flotte. Il y a tous ces fils.

Route est là.

On est dehors. On est descendue du train, on attend le car. Les immeubles vont et viennent. L'air respire, il y a des souffles. Les portes s'ouvrent, les portes s'ouvrent partout, on passe, on passe."

Leslie Kaplan, "L'Excès-L'Usine", 1994

30 déc. 2011

"Stuart Elton se penche pour retirer d'une pichenette un fil blanc sur son pantalon, et ce geste banal, accompagné qu'il est d'une coulée, d'une avalanche de sensations, lui paraît être la chute d'un pétale de rose : en se redressant pour reprendre sa conversation avec Mrs Sutton, Stuart Elton sent qu'il est tout entier fait de pétales compacts, serrés et touffus, teintés, rougis, embrasés tous de cette luisance inexplicable. Si bien que, quand il se penche, un pétale tombe. Dans sa jeunesse, il n'a pas connu cela, non. Maintenant, à quarante-cinq ans, il lui suffit d'envoyer promener un fil d'une pichenette, et voilà que l'envahissent tout entier cette magnifique harmonie de la vie, cette coulée, cette avalanche de sensations, ce sentiment d'unité lorsqu'il se relève, rééquilibré. Mais que disait-elle donc ?"

Virginia Woolf, "Le bonheur" in "La Fascination de l'Etang" 

20 déc. 2011

20/12/11
"Nos actes
 sont 
 des actes
 de rêveurs


 de nageurs
 énigmatiques."


Jean ARP

9 déc. 2011

09/12/11

“Prêtez-moi de la grandeur,
 Prêtez-moi de la grandeur,
 Prêtez-moi de la lenteur,
 Prêtez-moi de la lenteur,
 Prêtez-moi tout,
 Et prêtez-vous à moi,
 Et prêtez encore,
 Et tout de même ça ne suffira pas.”

Henri Michaux, Ecuador (1929)

1 déc. 2011

01/12/11
"Bras grue pivotante qui vous cueille vous élève jusqu'au sommet l'épaule d'où vous découvrez les gens une allumette par terre la mer énigme réponse effacée avant d'être connue énigme réponse effacée énigme jusqu'à cette ligne d'horizon qui vous attire."

Béatrix Beck, “Cou coupé court toujours” (1967)

22 nov. 2011

22/11/11
"Je me suis souvenu du texte que j'essayais d'écrire quand j'avais connu Louki. Je l'avais intitulé Les Zones neutres. Il existait à Paris des zones intermédiaires, des no man's land où l'on était à la lisière de tout, en transit, ou même en suspens. On y jouissait d'une certaine immunité. J'aurais pu les appeler les zones franches, mais zones neutres était plus exact."


Patrick Modiano, "Dans le café de la jeunesse perdue"

12 nov. 2011

12/11/11
"(...) and my spirit growing seven by seven
Faster than the speed of light
Cause light only penetrates the darkness that's already there
and I'm already there
I'm there at the end of the road
Wich is the beginning of the road beyond time, but
Where's my nigger at ? (Oh shit!)


Oh shit, don't tell me my nigger got lost in time
My nigger are dying before their time
My nigger are serving unjust time
My nigger are dying because of
time"


Saul Williams, "Sha-Clack-Clack"
lien vidéo

2 nov. 2011

02/11/11
"Lire le journal, boire une bière ou un café, fumer des cigarettes, marcher, traverser un paysage, cela est nécessaire et suffisant."


Frédéric-Yves Jeannet, "Cyclone"

18 oct. 2011

18/10/11
"seen from the door
 seen from the bathroom window
 seen from the back
 looking out at : hills, little red house, painted swing, cows or remembering it was morning
 seen from air"


 Norma Cole, "Spinoza in Her Youth"

7 oct. 2011

7/10/11
"En passant sur la 610 nord
 On voit le paquet d'ombres des gratte-ciel de Houston au loin, dans une pluie.
 On se dit qu'une photo ça serait bien, vue d'ici, qu'on est dans le soleil,
 Mais l'autoroute permet pas qu'on s'arrête et t'emporte
 A travers des nuages et du bleu déchiré
 Toutes les publicités les voilà comme de minuscules cris de couleur, en contrebas d'où on passe, on sent
 Que ça pourrait n'avoir pas de fin de conduire ainsi très vite"


James Sacré, America solitude (2010)

23 sept. 2011

23/09/11
"Puis le train arriva. (...) ; et il filait avec fracas, aspirant l'air et me giflant. Je l'avais tant attendu, mais quand l'obscurité retomba et que le sable recommença à crisser, je me disais que, même dans un désert, ces gens-là ne vous fichent pas la paix. Si demain j'avais dû m'enfuir, me cacher, pour ne pas être interné, je sentais déjà sur moi, comme le choc de ce train, la main du policier. C'était ça, l'Amérique."

Cesare Pavese, "La Lune et les Feux"(1959)

13 sept. 2011


13/09/11
"Le poème se construit au fur et à mesure que le paysage est là ;
 Le paysage qui se défait puis qui revient,
 Les toujours mêmes motifs de formes
 Qui se disposent autrement, tournant
 Dans ce qu'on voit, ce qu'on écrit :
 Groupe de hauts sillos métalliques ça fait
 Comme des paquebots dans le ciel très vaste,
 Et tout en bas de leurs blocs de silence
 Un convoi ferroviaire longtemps."



James Sacré "America solitudes"

28 août 2011

(à Cesare le) 28/08/11
"Il sera inutile de se lever du lit.
Seule l'aube entrera dans la chambre déserte.
La fenêtre suffira à vêtir chaque chose
d'une clarté tranquille, une lumière presque."

Cesare Pavese, "Le Paradis sur les toits” 

23 août 2011

23/08/11
" ou bien, il s'immobilisait et posait sa tête dans la mousse et fermait les yeux à demi, et tout s'en allait alors, loin de lui, la terre se dérobait sous lui, elle devenait aussi menue qu'une étoile errante et s'immergeait dans un fleuve tumultueux dont les eaux claires défilaient sous son corps."


Georg Büchner, Lenz
(trad. J.P. Lefebvre)

8 août 2011

08/08/11
"        et parfois prenait-il le gris pour le bleu
voyait-il d'invisibles chauds soleils derrière
le gris des horizons la brume du bas des coteaux et
même les pluies        les pluies tièdes du soir
cette attente que la marche        la marche même
attisait
Puis la plaine blonde et chaude        cette couleur
dans le ciel        nulle part qu'ici
entre les pluies        le bleu et le bleu        et ce qui le
soir se glissait très gris au-dessus de l'horizon
les falaises et les coteaux et les vieux ponts sur la
Loire les bateaux qui attendaient le vent et comme là-bas les îles du milieu du fleuve
passant le point jusqu'au-dessus de l'île les
peupliers et les fleurs jaunes        blanches
et le bruit de l'eau contre les piles"


Michèle Desbordes, "Dans le temps qu'il marchait"