14 avr. 2014


la vie joue dans le jardin
avec l'être que je ne fus jamais

et je suis là

danse pensée
sur la corde de mon sourire
(...)

"Celle des yeux ouverts", Alejandra Pizarnik
Aujourd'hui, je me suis souvent dit : forêt. D'elle-même, la vérité marche à travers bois."

Werner Herzog, "Sur le chemin des glaces"

24 mars 2014

Hisao demanda : "Qu'est-ce qu'ils ont 
répondu tout à l'heure, ceux qui revenaient 
du dehors. C'est le jour ou c'est la nuit ?" 
Takeshi essaya de s'en souvenir. 
"Je crois qu'ils n'ont rien dit."

Hubert Mingarelli "L'homme qui avait soif"

17 mars 2014


"un chien-loup, noir de jais, me suivit longuement de son regard jaune et fixe. Quand j'entendis le bruissement de quelques feuilles qui tombaient derrière moi, d'emblée je me suis dit, ça, c'est le chien, bien qu'il fût attaché à une chaîne. Tout au long de la journée, la solitude la plus parfaite. Un vent clair fait chuchoter la cime des arbres. Quelle saison ! Elle n'a plus rien de terrestre. De grands sauriens volants expulsent,  sans bruits, des traînées de condensation au-dessus de moi, plein ouest. Ils volent vers Paris, et mes pensées s'envolent avec eux. Il y a tant de chiens. En voiture, cela nous échappe, comme les odeurs de foin, et les arbres gémissants. Les troncs d'arbres écorcés suintent. A nouveau, longuement, mon ombre se tapit devant moi. En fuite, une nuit, Bruno a pénétré dans une station de télésièges abandonnée. Ce devait être en novembre. Il branche l'électricité en abaissant la manette. Toute la nuit, le télésiège marche, sans raison, et tout le circuit est illuminé. Au matin, la police arrête Bruno. C'est comme ça que devrait finir l'histoire."

Werner Herzog, "Sur le chemin des glaces"

4 mars 2014


Pour ma part, afin de garder, pour pouvoir aimer Balbec, l'idée que j'étais sur la pointe extrême de la terre, je m'efforçais de regarder plus loin, de ne voir que la mer, d'y chercher des effets décrits par Baudelaire et de ne laisser tomber mes regards sur notre table que les jours où y était servi quelque vaste poisson, monstre marin qui, au contraire des couteaux et des fourchettes, était contemporain des époques primitives où la vie commençait à affluer dans l'Océan, au temps des Cimmériens, et duquel le corps aux innombrables vertèbres, aux nerfs bleus et roses, avait été construit par la nature, mais selon un plan architectural, comme une polychrome cathédrale de la mer."



Marcel Proust
"A l'ombre des jeunes filles en fleur"

3 févr. 2014


"Ce qu'il prend pour motif n'a pas de nom : c'est un rapport instable du vert et du bleu, c'est l'extérieur, c'est l'air qui passe entre les choses, c'est l'instant qui sépare deux positions d'une petite vague. C'est ici, maintenant, un bord, sa vie."

Marianne Alphant "Monet, une vie dans le paysage"

21 janv. 2014


Nous ne sommes pas séparés de la terre
Par la construction d’un tombeau
Ni par un chant de pierres d’églises, ni par voie de contemplation
Mais perdus, tout entiers perdus dans le grand paysage
Avec ses arbres, ses champs et cette incompréhensible lumière
Sur le bord de la route où l’ombre est rare et l’amour incertain
Nous ne sommes pas séparés de la vie
Au milieu des buissons et des choses communes.

HENRY BAUCHAU : « Nous ne sommes pas séparés »

13 janv. 2014


“Et puis (alors que je traversais Russel Square hier soir) voilà que je vois des montagnes dans le ciel, de grands nuages, et la même lune qui s’est levée sur la Perse. J’éprouve la notion vague et stupéfiante de quelque chose qui est là, qui est “ça”. Ce n’est pas exactement la beauté que je veux dire. C’est simplement que la chose en soi se suffit. Qu’elle est satisfaisante, achevée. Il y a aussi cette étrange impression d’être là, de marcher sur cette terre, et l’infinie étrangeté de la condition humaine, moi trottant le long de Russel Square avec la lune là-haut, et ces montagnes de nuages. Qui suis-je, que suis-je ? et ainsi de suite. Ces questions flottent sans cesse autour de moi et puis je me cogne à quelque fait précis, une lettre, une personne, et je les retrouve dans toute leur fraîcheur et leur nouveauté.”

Virginia Woolf, "Journal"

« Quelque fois rien. Une porte
qu'il suffit d'ouvrir ou de
fermer afin que le ciel soit
dedans ou dehors. »

Christian Viguié, "Le Carnet de la roue"

L'homme
       accoudé
   à la solitude  comme
à une barrière, recueillait dans
   la profondeur de son ouïe la
  naissance des voies nocturnes.
     Il entendait les distances,
       innombrablement peuplées,
     s'émouvoir peu à peu ; elles
        semblaient converger vers
          son cœur et s'y attacher ;
           chaque éveil le long du fil
          invisible s'y venait répercuter
            et en rythmait les battements.
                  Et des lointains du ciel,
                 de chaque astre, par le lait
               de la nuit voguait une anxiété
                voluptueuse vers son attente.



Jacques Rivière, "Introduction à une métaphysique du rêve"



            Songe donc
  
nous savoir
    dans la pluie dans les cendres dans le gué
    dans la crue

       nous savoir qui rêvâmes

  là 


Aimé Césaire, "Nous savoir..."

26 nov. 2013



Oiseaux

l'exil s'en va ainsi dans la mangeoire des astres
portant de malhabiles grains aux oiseaux nés du temps
qui jamais ne s'endorment jamais
aux espaces fertiles des enfances remuées

Aimé Césaire, "Ferrements"

14 nov. 2013

"Je n'avais sûrement pas envie de regarder la mer. 
Mais aperçue fugitivement, et comme malgré moi, 
je l'ai vue divisée. Echevelée, frissonnante au nord, 
le vent l'éparpille. A l'est, rassurante et légère, elle 
mène à la côte là-bas. Lente au sud, mystérieuse, 
profonde. C'est au sud que nous prenons les plus 
beaux poissons. Mais c'est l'ouest que j'aime. La mer 
à l'ouest, c'est l'océan. J'aurais dû penser à ce mot plus tôt ? "

Jean-Pierre Abraham, "Armen"

7 nov. 2013


"L'homme se retourna vers la rive qu'ils venaient de quitter. Elle était à son tour recouverte par la nuit et les eaux, immense et farouche comme le continent d'arbres qui s'étendait au-delà sur des milliers de kilomètres. Entre l'océan tout proche et cette mer végétale, la poignée d'hommes qui dérivait à cette heure sur un fleuve sauvage semblait maintenant perdue. Quand le radeaux heurta le nouvel embarcadère, ce fut comme si, toutes amarres rompues, ils abordaient une île dans les ténèbres, après des jours de navigation effrayée."


Albert Camus, "la pierre qui pousse"

29 oct. 2013


"revenue donc à l'horizontale du soir au matin
un astre coulé dans l'eau salée scrute les fracas
rien de plus guère moins logé à l'enseigne des nuages
plongeon moyen migrateur hivernal nicheur de falaises
orange homard cormoran bec neuf
sourire au déclin port dans l'air
corbeau sombre au pain sec
inondation intime de solitude
la terre devient nuage apparemment je ne fais rien
et ne suis d'aucun secours en matière d'exemple à suivre"

Marie Borel, "Loin"

14 oct. 2013

"Là, Là-bas, de l'autre côté d'une rue plus large que 
bien des pays, quelque chose décolle et encombre 
le ciel comme les espaces intermédiaires de mon 
esprit ; là-bas, où les trains restent à quai...

Insensible au mouvement alentour, je note qu'on est 
prisonniers de l'amour et de la haine, regarde, l'herbe 
se courbe sous le vent, l'orage a détruit les villages, et
qu'est-ce que j'allais dire, on fait la queue..."


Etel Adnan "Là-Bas" 
trad. Marie Borel & Françoise Valéry
éditions de l'Attente

23 sept. 2013


"Je pourrais trouver un terrain d’entente avec moi-même, je pourrais continuer à être heurts et bouts de matières entamées, je pourrais accepter d’être ce que je suis vaillamment sans nécessairement faire de bruit, inondant des plaines morbides, chassant des oiseaux de toutes races sans noircir les plumes, je pourrais continuer à transporter mon nom de carrière en carrière, usant ma peau, pleurant mes pieds de temps en temps, je pourrais continuer à dévoyer le sens des morceaux sans me confondre avec eux, mais si j’allume un feu maintenant, ce sera trop tôt et les autres ignoreront à quelle fin je le fais."

Dorothée Volut, Alphabet
Erci Pesty éditeur, 2008

5 sept. 2013

"Alors fous-moi la paix avec tes paysages ! Parle-moi du sous-sol !"

Samuel Beckett, “En attendant Godot”

28 août 2013




"Dans les clairières on contemplait le ciel blanc, rêveur et paresseux qu’on avait l’impression de voir plonger et d’entendre jubiler comme des oiseaux jubilent, des petits oiseaux qu’on ne voyait jamais et qui s’intégraient naturellement à la nature. Des souvenirs revenaient et on ne voulait pas les analyser et les interpréter, on n’en était pas capable, cela faisait doucement mal, mais on était trop paresseux pour ressentir entièrement une douleur. On allait comme ça et puis on s’arrêtait à nouveau et puis on se tournait de tous les côtés, regardait au loin, vers le haut, au-delà, vers le bas, par-dessus et vers le sol, et puis on se sentait touché par l’immense langueur de cette floraison. Le bourdonnement dans la forêt n’était pas le bourdonnement dans la clairière plus nue, c’était différent et exigeait qu’on se place autrement pour de nouvelles rêveries. Il fallait toujours lutter avec cela, faire front, refuser en silence, réfléchir et hésiter. Car tout était hésitation, effort et sentiment de faiblesse. Mais c’était charmant comme ça, juste charmant, un peu pesant, et puis à nouveau un peu chiche, puis hypocrite, puis rusé, puis plus rien, puis complètement idiot ; finalement c’était très difficile de trouver encore quelque chose joli, on ne voulait pas s’y sentir obligé, on restait assis, on allait, on flânait, on errait, on marchait et on s’attardait comme ça, on était devenu un morceau de printemps."


Robert Walser "Les enfants Tanner", 1907

20 août 2013



"Tout va bien avec les tempêtes. Presque un soulagement. J’écoute. La corne de brume propulse ses ondulations dans le ventre. Les faisceaux du phare tournent avec régularité. De l’homme au soleil, il n’y a qu'un pas. Le doigt sur l’interrupteur, la cage d’escalier ressemble à un jeu de dominos orangé. Mon corps est l’endroit où le voyage recommence. Broyée par les vents, j’attrape la bouteille de plastique sur la table de cuisine, défais le vélo des toiles d’araignée du hangar. Le phare enfonce ses rayons dans un voile de lande. Cassure végétale des manteaux sous la tourbe."


Laure Morali, "Comment va le monde avec toi "

27 juil. 2013



"Je ne connaissais personne dans la ville. Avec inquiétude, je jetai le grappin dans ma poche pour la sonder, et n'en tirai que quelques pièces d'argent. "Donc, où que tu ailles, Ismaël, me dis-je à part moi, arrêté au milieu d'une rue solitaire, mon sac sur l'épaule, et, comparant l'obscurité côté nord aux ténèbres côté sud, où que dans ta sagesse tu décides de loger pour cette nuit, mon cher Ismaël, ne manque pas de t'informer des prix et ne sois pas trop difficile."

Herman Melville, "Moby Dick"'

21 juil. 2013


"Dans ce livre on trouve au travail un être “souterrain”,
de ceux qui forent, qui sapent, qui minent. On le voit,
à condition d'avoir des yeux pour un tel travail des pro-
fondeurs, — on le voit progresser lentement, prudemment,
avec une douceur inflexible, sans trahir à l'excès la détresse
qui accompagne toute privation prolongée de lumière et
d'air; on pourrait même le dire satisfait d'accomplir ce
sombre travail. Ne semble t-il pas qu'une sorte de foi
le conduise, de consolation le dédommage ? Que, peut-être,
il désire connaître de longues ténèbres qui  ne soient qu'à
lui, son élément incompréhensible, secret, énigmatique,
parce qu'il sait ce qu'il obtiendra en échange : son propre
matin, sa propre rédemption, sa propre Aurore ?..."

Friedrich Nietzsche, "Aurore"

12 juil. 2013

"Ce qui serait bien, c'est que nos jours, d'eux-mêmes, se rangent derrière nous, s'assagissent, s'estompent ainsi qu'un paysage traversé. 
On serait à l'heure toujours neuve qu'il est."

Pierre Bergougnioux, "Miettes"

2 juil. 2013


   De l'avion les champs récemment moissonnés ou déchaumés où les passages des tracteurs ont laissé des rayures parallèles comme si quelque gigantesque peigne s'était appliqué à les tracer arrondissant les angles enchâssant parfois quelque roche ou quelque bosquet jade comme ces jardins sacrés au Japon où le sable est rituellement ratissé mer figée fauve aux vagues parallèles et immobiles autour de pierres laissées tombées  ici et là par un dieu raffiné

d'autres à peine  assez grands pour quelques arbres trois pins un bouleau



"Archipel", Claude Simon

18 juin 2013


"Je dis tout simplement qu'un radeau n'est pas une barricade et qu'il faut de tout pour qu'un monde se refasse. Un radeau, vous savez comment c'est fait : il y a des troncs de bois reliés entre eux de manière assez lâche, si bien que lorsque s'abattent les montagnes d'eau, l'eau passe à travers les troncs écartés. Notre liberté relative vient de cette structure rudimentaire dont je pense que ceux qui l'ont conçue — je veux parler du radeau — ont fait du mieux qu'ils ont pu, alors qu'ils n'étaient pas en mesure de construire une embarcation. Quand les questions s'abattent, nous ne serrons pas les rangs — nous ne joignons pas les troncs — pour constituer une plate-forme concertée. Bien au contraire. Nous ne maintenons du projet que ce qui du projet nous relie. Vous voyez par là l'importance primordiale des liens et du mode d'attache, et de la distance même que les troncs peuvent prendre entre eux. Il faut que le lien soit suffisamment lâche et qu'il ne lâche pas.
Fernand Deligny, "Le Croire et le Craindre"

10 juin 2013

"Les choses qu'elle voyait semblaient incertaines — pas incertaines mais changeantes, en pleine métamorphose, quelque chose qui est aussi autre chose, mais quoi, et quoi."

Don Delillo, "Body Art"

24 mai 2013

"La vie offre un fragment parfait d'elle-même au Karen's Café ( à Shelby, Montana). "Qu'est-ce que je sers à ces charmants messieurs par cette charmante journée ?" demande la serveuse morose. Et je me dis : Quelle horreur ce serait de vivre à Shelby. Si j'y vivais, pourtant, la vie ne me serait ni plus ni moins agréable qu'ailleurs. En attendant, quelle perfection que de transiter par Shelby avant de me ruer vers la voie ferrée quand j'entends un train aboyer dans la nuit ! Avec ma dulcinée, je campe  près de Shelby, au milieu du vent, du feu et de la lune, parmi la pluie de flammèches et l'odeur suffocante de la fumée, les rafales de vent délicieuses, les taches de nuages dans les montagnes, la nuit ; bref, je me suis échappé de Shelby."

William T. Vollmann "Le Grand Partout"

6 mai 2013

Je fuis devant, je fuis derrière, je fuis en haut et en bas, à l'intérieur. J'abandonne des tonnes de souvenirs, comme ça, très facilement, et je les laisse derrière moi. Je traverse des séries de décors, hautes parois de cartons sur lesquelles sont peints les mensonges de la vie vue par les hommes :
les champs d'herbe verte où passe le vent
les maisons aux volets fermés
les villes blanches sous le soleil
les serpentins des lumières magiques
les rues désertes
les parcs, les jardins, jungles, marécages où flotte la mince vapeur, les Cafés pleins de jambes et de mains, les temples, les tours de fer, les hôtels aux vingt étages capitonnés de feutre, les autoroutes où foncent les voitures aveugles, les hôpitaux, les fleuves, les plages de galets, les noires falaises où sont assis les oiseaux, les."


J.M.G. Le Clézio, "Le livre des fuites" 1969

22 avr. 2013


"Rayon enfantillages, broutilles, riens.
  Rayon drogue, addiction, envoûtement, sortilège.
  Rayon suffocation.
  Rayon y croire, ne plus y croire, tirer un trait.`
  Rayon y revenir.
  Rayon tout est signe, déductions et calculs.
  Rayon oubli, vieillesse, amertume, sagesse : n'est pas encore ouvert."

Anne Savelli, "Décor Lafayette" 2013

15 avr. 2013


"Ceux qui sont immobiles sur la terre errante : les voyageurs.
 Ceux qui fuient sur la terre immobile : les sédentaires. 
 Mais ceux qui fuient sur la terre errante, et ceux qui sont immobiles 
 sur la terre immobile : comment les appeler ?"

JMG Le Clézio, "Le livre des fuites", 1969

2 avr. 2013


"On pourrait dire l’ignorance est un doigt, on touche
avec. On met toute sa tête dans le geste : on dévale."


Armand dupuy

23 mars 2013

JAMAIS

QUAND BIEN MÊME LANCÉ DANS DES CIRCONSTANCES
ÉTERNELLES


    DU FOND D'UN NAUFRAGE


[EXTRAIT] Stéphane Mallarmé, "Un coup de dés jamais n'abolira le hasard", 1897

14 mars 2013



"Ça rend sauvage l'écriture. On rejoint une sauvagerie d'avant la vie. Et on la reconnaît toujours, c'est celle des forêts, celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, distincte et inséparable de la vie même. On est acharné. On ne peut pas écrire sans la force du corps."

Marguerite Duras, "Ecrire"

26 févr. 2013


"C'est parfois comme si j'avais perdu
 la trace
    je retourne dans mes pas

                    mais il n'y a plus que
 l'aile
    et l'arbre.
    Et je me retrouve

                   parmi les oiseaux
 que le ciel,
    le linge.
    Le drap.
 Comme si j'avais suivi une maison,
    Une parole hospitalière.
  Mais jusqu'à trouver la
 terre puis de l'eau."



Thierry Metz, "notes sur le chemin", 1995.
Un pain. Une bouteille. Un citron.
Un bouquet de roses blanches dans un vase bleu.
Oui, j'en ai assez de nos histoires d'hommes. Je n'écrirai plus que des natures mortes."

Eric Chevillard, "L'autofoctif"

4 févr. 2013


"Le harfang des neiges survole la toundra, perçant la nuit polaire de son vol silencieux et blanc, survole des étendues de roches et de neige glacées, des lieux inhabités que l'homme ne cherche pas à conquérir, des lieux qu'il juge hostiles, ou qui servaient parfois de pénitencier, ou attirèrent un jour quelques ermites désireux de silence et de recueillement — il survole ces lieux à la recherche d'une proie."

Cécile Wajsbrot, "Mémorial"

21 janv. 2013


"Mais laissez-moi traverser le torrent sur les roches
Par bonds quitter cette chose pour celle-là
Je trouve l'équilibre impondérable entre les deux
C'est là sans appui que je me repose."


Saint-Denys Garneau, "Regards et Jeux dans l'espace", 1937

4 janv. 2013


"Convoquer telle phrase de tel auteur autour d'un simple mot, le mot égaré chez Duras, le mot épuisement chez Claude Simon, le mot poids chez Artaud. Ils sont là comme un champ de tension, ils appellent, ils contaminent."

"Que cherchions nous pourtant, dans la nuit enfin ouverte, au bord de l'estuaire noir, un peu plus tôt, à discuter du vide qu'il faut pour que naisse la parole ou qu'advienne son partage, et du chemin qu'on se fraie vers les îles en hiver ?"

"Nous marchons dans notre propre nuit parce qu'un autre devant nous y marchait, qui n'avait pas choisi d'avancer là."


François Bon, "Tumulte", 2006

28 déc. 2012

"C'est un voyage — on le commence ensemble
parfois à rebours
ces jours-là et nuit
on revient sur nos pas
Sont ensemble, à un moment     même lointain
je prends ce moment-là "

Fabienne Courtade, "Le même geste"

9 déc. 2012

les plis des vêtements
sont les mêmes
que les plis du paysage



Fabienne Courtade, "Le même Geste", 2012

26 nov. 2012



9h50
je me rappelle un poncho de grosse laine aux couleurs de l'automne, un résumé du paysage ou en abyme

16h27
le vent qui travaille dans les hauteurs a des raisons que je ne connais pas mais font du bien au potentiel esthétique



 le 2 novembre 2012, Rentilly
"Monostiques paysagers" de Jacques Jouet

15 nov. 2012

"Quand on marche
  dans les aubes
  d'un continent vieux
  il arrive
  que des ancêtres nous bousculent"

  

 Laure Morali, "La terre cet animal"

7 nov. 2012



"— Il y a des petites voluptés qui ont été pour nous, 
comme, sur les bords des routes, ces petits fruits de 
maraude, aigres, et qu'on aurait voulu plus sucrés."


A.Gide, "Les Nourritures Terrestres"

9 oct. 2012

" — Dans une vapeur de chaudière, confirmées dans leur tranchant, des arêtes qui s'aiguisent ; dans la sueur de pierre et de métal, qui inventent un rasoir inexorable, le fil transparent et sombre de l'obsidienne, la nuit devenue couteau."

Roger Caillois "Minéraux", in "Pierres", 1970

27 sept. 2012


"Lui.— Un jour, dans ma chambre, je regardais une serviette posée sur une chaise, alors j'ai vraiment eu l'impression que, non seulement chaque objet était seul, mais qu'il avait un poids — ou une absence de poids plutôt — qui l'empêchait de peser sur l'autre. La serviette était seule, tellement seule que j'avais l'impression de pouvoir enlever la chaise sans que la serviette change de place. Elle avait sa propre place, son propre poids, et jusqu'à son propre silence. Le monde était léger, léger..."

Jean Genet, "L'atelier d'Alberto Giacometti"

17 sept. 2012


"Pour un rien, pour un rien à nique
au ciel, des fois la gravité.
Malicieuses."

Claude Favre, "Interdiction absolue de toucher les filles même tombées à terre"

10 sept. 2012

"Quelque part quelqu'un est chien et aboie à la lune


Quelqu'un est né chinoise et maintenant elle a dix-sept ans

Quelqu'un c'est une blonde et sa sœur est vive, véritablement pétulante

Quelqu'un son père est Highlander

Quelqu'un... et puis ça lui a retenti sur les reins et maintenant fini, il dit qu'il aime 

autant mourir à l'hôpital

Quelqu'un il a de grosse solives à sa maison

Quelqu'un, il veut encore un peu de crème. (...) "



Henri Michaux, "Quelque part quelqu'un"

27 août 2012


" _ Omar Khayyâm regarde les mouches la poussière
ivre de et pour rien si tu savais et en langue persane
devrais te lire ne pas ciller l'amour avaler boue mots
acte d'accusation avaler boire acte inchoatif boire plus
qu'un choix symptôme plus qu'une pensée acte en
quatrains pourquoi pas dont on dit que c'est poème "


Claude Favre, "Vrac conversations," 

19 août 2012

"Je suis un moment à secouer l'incrédulité bienheureuse où me plongent les biens élémentaires qui me sont rendus, la paix, la solitude, les bois, l'océan d'air, le vert, les ruisseaux."

Pierre Bergounioux, "Carnet de notes 1980-1990"

30 juil. 2012

"On sent la courbure de la terre. On a désormais les cheveux qui ondulent naturellement. On ne trahit plus le sol, on ne trahit plus l'ablette, on est soeur par l'eau et par la feuille. On n'a plus le regard de son oeil, on n'a plus la main de son bras. On n'est plus vaine. On n'envie plus. On n'est plus enviée.

On ne travaille plus. Le tricot est là, tout fait, partout.

On a signé sa dernière feuille, c'est le départ des papillons."

Henri Michaux, "La Ralentie", "Plume".

7 juil. 2012

"C'est un jour comme celui-ci, un  peu plus tard, un peu plus tôt, que tout recommence, que tout commence, que tout continue."

G.Perec, "Un homme qui dort"

27 juin 2012

"Il était une fois un homme roux, qui n'avait d'yeux ni d'oreilles. Il n'avait pas non plus de cheveux  et c'est par convention qu'on le disait roux.
Il ne pouvait pas parler car il n'avait pas de bouche. Il n'avait pas de nez non plus.
Il n'avait même ni bras ni jambes. Il n'avait pas de ventre non plus, pas de dos non plus, ni de colonne, il n'avait pas d'entrailles non plus. Il n'avait rien du tout ! De sorte qu'on se demande de qui on parle.
Il est donc préférable de ne rien ajouter à son sujet."

Daniil HARMS, "Faits Divers"
(7 janvier 1937) Cahier Bleu  n°10

14 juin 2012

"Il règne ici la paix qui succède aux profonds cataclysmes, quand leur souvenir même est perdu, et que le ciel de nouveau préhistorique pâture avec une lenteur innocente l'ampleur en fin de compte extatique du dégât.
L'être antérieur au temps contemple avec les yeux de ma tête, mes jambes le soulèvent et le transportent machinalement sur un remblai. J'y cherche en vain le soleil dans cette pulvérisation de la lumière, un peu plus dense au bout des rails aplatis vers le nord."

Jacques Réda, "Les ruines de Paris", 1977

4 juin 2012

" Deux sœurs à particule vivaient parmi les immondices."
                                          
"Remerciements posthumes à M.Emile Locati pour son don généreux à l'A.S.J.F.T.N."
                                        
"M.Patel nous signale que les branches de son prunier ont été si fortement courbées par l'orage qu'elles rejoignent sa rhubarbe.
Toute notre sympathie."
                                     
"Le savon de Marseille était en réalité un réveille-matin !"


Béatrix Beck, "En bref, Faits divers et avis"

26 mai 2012


"Trois vesces-de-loup poussées spontanément dans le pré de
M.Nantel forment un parfait triangle équilatéral. Nos félicitations
pour cet heureux présage."


Béatrix Beck, "En bref, Faits divers et avis"