29 juin 2015


"Nous avions l'illusion de fendre cet espace inconnu à mesure que nous allions le parcourant, comme si, avant nous, il n'y eût eu autre chose qu'un vide imminent que notre présence peuplait d'un paysage humain, mais, une fois que  nous l'avions laissé derrière nous, dans cet état de somnolence hallucinée que nous dispensait la monotonie du paysage, nous constations que l'espace dont nous pensions être les fondateurs avait toujours été là et qu'il consentait seulement à se laisser traverser avec indifférence, sans rien garder de nos empreintes et dévorant même celles que nous y avions laissées exprès afin d'être reconnus de ceux qui viendraient après nous. Chaque fois que nous débarquions, nous étions comme un fourmillement fugitif sorti du néant, une fièvre éphémère qui miroitait quelques moments au bord de l'eau et après s'évanouissait."

Juan José Saer, "L'Ancêtre"