29 déc. 2016

"Dans les sons émis par ces renards, si c’étaient des renards, il 
entrait presque autant d’exultation, et une moindre peine. Il y 
entrait l’exultation terrifiante d’entendre le monde se parler à 
lui-même, et la peine de l’incommunicabilité. (…)

Ces appels se prolongèrent, ne répétant jamais le même 
motif, et suivant ce qui avait tout l’air d’un art infaillible, 
pendant peut-être vingt minutes. C’était entièrement comme si 
les portants avaient été mis en place, enchantés, puis abandon-
nés comme des déchets sur un côté d’une scène énorme comme 
le pont du navire de la terre, inébranlable et incliné; et comme 
si sur cette scène, accompagnés par la confabulation crachinante 
d’une musique de pastorale nocturne, deux personnages masqués, 
imprévisibles et parfaitement étrangers à l’action, s’étaient avancés 
avec l’aplomb des chats, et en silence, et avaient chanté, comme 
fortuitement, avec une quotidienneté sinistre, ce qui en fin de compte 
se révéla être le numéro du spectacle le plus chargé de sens, et le 
plus mystérieux; puis que dans un mutisme et une ironie parfaites 
ils se fussent retirés. »

James Agee, « Louons maintenant les grands hommes", "Alabama : Trois familles de métayers en 1936 »
éditions Plon 2002.