15 mai 2017


« Tout le monde n’est pas géographe, n’est pas Julien Gracq ni Claude Simon. Tout le monde constate l’épaisseur des terres, des strates, des cultures, épaisseur venue de notre ignorance (comment cultiver, quels sont les noms, les gestes?). Tout le monde regarde les usines en ruine et les éoliennes. Et lorsque le paysage est nouveau (si cela arrive encore) des promesses sautent au visage. On pourrait aller là, là, là, maison dont la fenêtre donne sur un banc, une salle fraîche. On pourrait longer des rivières, désosser une voiture, plonger. Se rendre au cimetière, dans une cour d’école, voler le drap qui sèche, toutes choses qu’on ne fait jamais. Mieux : être le drap qui sèche, petit clac dans le vent, et sa pince à linge qui s’épuise. Se réincarner en bidon d’essence, en silo. Devenir pistache, émeraude, blé mur et s’émerveiller des autres couleurs.
Un merle m’engueule dans le jardin.
Fermant à demi le ciel, trois palmiers.
Devant, un figuier, poussé dans un mur.
Des orties. Des mouches très jeunes.
Où est-il, enfin, l’immuable, dans ce lieu de destination ? Dans l’épaisseur des troncs ? Le temps pris par le figuier pour nicher dans le mur ?

Ecrire sur ce qui vient. Voir ensuite. »



Anne Savelli, Décor Daguerre
(éditions de l’Attente, 2017)