7 juil. 2017

« Elle pose une main sur son front. Et l’autre main sur
son cou. Elle tient sa tête de ses deux mains (d’une
drôle de façon). C’est une drôle de façon de se tenir
la tête. Mais c’est tout ce qu’elle a trouvé comme
geste. C’est le seul geste trouvé à ce moment-là de sa
vie. Elle sourit. Elle sourit de soulagement (c’est une
drôle de façon d’être soulagée). Elle pourrait pleurer
de soulagement. Elle pourrait soupirer de soulage-
ment (non ce n’est pas comme ça). Là elle est juste
soulagée et épuisée. C’est tout ce qu’elle a trouvé de
ressources en elle pour exprimer son soulagement.
Elle a traversé un continent à pied. Elle est debout
dans sa robe et son pull (les manches sont relevées 
jusqu’aux coudes). Elle porte des tennis. Et c’est dans
cette robe et ce pull et ces tennis qu’elle a parcouru des
milliers de kilomètres. Elle se tient donc comme ça
(on voit ses veines saillantes sur ses bras et ses mains).
Elle tient son corps fatigué par la tête. Elle tient son
corps debout. C’est tout le paysage qu’elle tient (et le
ciel derrière).

Sophie G. Lucas, "Moujik Moujik »
éd. La Contre Allée (ré éd. 2017)