30 déc. 2011

"Stuart Elton se penche pour retirer d'une pichenette un fil blanc sur son pantalon, et ce geste banal, accompagné qu'il est d'une coulée, d'une avalanche de sensations, lui paraît être la chute d'un pétale de rose : en se redressant pour reprendre sa conversation avec Mrs Sutton, Stuart Elton sent qu'il est tout entier fait de pétales compacts, serrés et touffus, teintés, rougis, embrasés tous de cette luisance inexplicable. Si bien que, quand il se penche, un pétale tombe. Dans sa jeunesse, il n'a pas connu cela, non. Maintenant, à quarante-cinq ans, il lui suffit d'envoyer promener un fil d'une pichenette, et voilà que l'envahissent tout entier cette magnifique harmonie de la vie, cette coulée, cette avalanche de sensations, ce sentiment d'unité lorsqu'il se relève, rééquilibré. Mais que disait-elle donc ?"

Virginia Woolf, "Le bonheur" in "La Fascination de l'Etang" 

20 déc. 2011

20/12/11
"Nos actes
 sont 
 des actes
 de rêveurs


 de nageurs
 énigmatiques."


Jean ARP

9 déc. 2011

09/12/11

“Prêtez-moi de la grandeur,
 Prêtez-moi de la grandeur,
 Prêtez-moi de la lenteur,
 Prêtez-moi de la lenteur,
 Prêtez-moi tout,
 Et prêtez-vous à moi,
 Et prêtez encore,
 Et tout de même ça ne suffira pas.”

Henri Michaux, Ecuador (1929)

1 déc. 2011

01/12/11
"Bras grue pivotante qui vous cueille vous élève jusqu'au sommet l'épaule d'où vous découvrez les gens une allumette par terre la mer énigme réponse effacée avant d'être connue énigme réponse effacée énigme jusqu'à cette ligne d'horizon qui vous attire."

Béatrix Beck, “Cou coupé court toujours” (1967)

22 nov. 2011

22/11/11
"Je me suis souvenu du texte que j'essayais d'écrire quand j'avais connu Louki. Je l'avais intitulé Les Zones neutres. Il existait à Paris des zones intermédiaires, des no man's land où l'on était à la lisière de tout, en transit, ou même en suspens. On y jouissait d'une certaine immunité. J'aurais pu les appeler les zones franches, mais zones neutres était plus exact."


Patrick Modiano, "Dans le café de la jeunesse perdue"

12 nov. 2011

12/11/11
"(...) and my spirit growing seven by seven
Faster than the speed of light
Cause light only penetrates the darkness that's already there
and I'm already there
I'm there at the end of the road
Wich is the beginning of the road beyond time, but
Where's my nigger at ? (Oh shit!)


Oh shit, don't tell me my nigger got lost in time
My nigger are dying before their time
My nigger are serving unjust time
My nigger are dying because of
time"


Saul Williams, "Sha-Clack-Clack"
lien vidéo

2 nov. 2011

02/11/11
"Lire le journal, boire une bière ou un café, fumer des cigarettes, marcher, traverser un paysage, cela est nécessaire et suffisant."


Frédéric-Yves Jeannet, "Cyclone"

18 oct. 2011

18/10/11
"seen from the door
 seen from the bathroom window
 seen from the back
 looking out at : hills, little red house, painted swing, cows or remembering it was morning
 seen from air"


 Norma Cole, "Spinoza in Her Youth"

7 oct. 2011

7/10/11
"En passant sur la 610 nord
 On voit le paquet d'ombres des gratte-ciel de Houston au loin, dans une pluie.
 On se dit qu'une photo ça serait bien, vue d'ici, qu'on est dans le soleil,
 Mais l'autoroute permet pas qu'on s'arrête et t'emporte
 A travers des nuages et du bleu déchiré
 Toutes les publicités les voilà comme de minuscules cris de couleur, en contrebas d'où on passe, on sent
 Que ça pourrait n'avoir pas de fin de conduire ainsi très vite"


James Sacré, America solitude (2010)

23 sept. 2011

23/09/11
"Puis le train arriva. (...) ; et il filait avec fracas, aspirant l'air et me giflant. Je l'avais tant attendu, mais quand l'obscurité retomba et que le sable recommença à crisser, je me disais que, même dans un désert, ces gens-là ne vous fichent pas la paix. Si demain j'avais dû m'enfuir, me cacher, pour ne pas être interné, je sentais déjà sur moi, comme le choc de ce train, la main du policier. C'était ça, l'Amérique."

Cesare Pavese, "La Lune et les Feux"(1959)

13 sept. 2011


13/09/11
"Le poème se construit au fur et à mesure que le paysage est là ;
 Le paysage qui se défait puis qui revient,
 Les toujours mêmes motifs de formes
 Qui se disposent autrement, tournant
 Dans ce qu'on voit, ce qu'on écrit :
 Groupe de hauts sillos métalliques ça fait
 Comme des paquebots dans le ciel très vaste,
 Et tout en bas de leurs blocs de silence
 Un convoi ferroviaire longtemps."



James Sacré "America solitudes"

28 août 2011

(à Cesare le) 28/08/11
"Il sera inutile de se lever du lit.
Seule l'aube entrera dans la chambre déserte.
La fenêtre suffira à vêtir chaque chose
d'une clarté tranquille, une lumière presque."

Cesare Pavese, "Le Paradis sur les toits” 

23 août 2011

23/08/11
" ou bien, il s'immobilisait et posait sa tête dans la mousse et fermait les yeux à demi, et tout s'en allait alors, loin de lui, la terre se dérobait sous lui, elle devenait aussi menue qu'une étoile errante et s'immergeait dans un fleuve tumultueux dont les eaux claires défilaient sous son corps."


Georg Büchner, Lenz
(trad. J.P. Lefebvre)

8 août 2011

08/08/11
"        et parfois prenait-il le gris pour le bleu
voyait-il d'invisibles chauds soleils derrière
le gris des horizons la brume du bas des coteaux et
même les pluies        les pluies tièdes du soir
cette attente que la marche        la marche même
attisait
Puis la plaine blonde et chaude        cette couleur
dans le ciel        nulle part qu'ici
entre les pluies        le bleu et le bleu        et ce qui le
soir se glissait très gris au-dessus de l'horizon
les falaises et les coteaux et les vieux ponts sur la
Loire les bateaux qui attendaient le vent et comme là-bas les îles du milieu du fleuve
passant le point jusqu'au-dessus de l'île les
peupliers et les fleurs jaunes        blanches
et le bruit de l'eau contre les piles"


Michèle Desbordes, "Dans le temps qu'il marchait"

14 juil. 2011

14/07/11
"Je soupçonne l'art, la poésie, la nature, de n'être qu'une mystification réussie, où chacun mystifie les autres, se laisse mystifier, se mystifie lui-même. On s'y perd.
J'ai mis un certain temps à penser tout cela. Je n'en suis même pas sûr.
(...) "

Georges Hyvernaud, "Feuilles volantes"

6 juil. 2011

06/07/11

(...)

la lenteur
que le temps gonfle
dans la robe
qui se casse
et se refait sans cesse

les élevages de poussières
les grandes rides blanches
et les rouleaux portés
sur son dos

(dans une pièce sombre, en imaginant la mer)



7 octobre 2010
Nicolas Jaen "Nô 2"

28 juin 2011

28/06/11
"ris, il fait soif de blanches, de canines, de vent levé de vie, ris les larmes ça va, en aval de toi courant l'un de ton nombre, ris, le corps pillé plié en quatre fois cent quatre, aux larmes en fifrelin de toi, en aval de l'œil et des larmes ça va"


Antoine Wauters "Os"

21 juin 2011

21/06/11
"Je travaille à la dernière minute. Les "choses" que je fais et refais pendant des mois, je les finis en trois heures.
Le désir que j'ai, ce n'est pas de travailler, mais de savoir ce que je veux faire... et d'en finir au plus vite.
Peut-être suis-je un faux sculpteur et un faux peintre."


Alberto Giacometti, "Je ne sais ce que je vois qu'en travaillant"

29 mars 2011

29/03/11
"J'utilise pour écrire les accidents du sol"


Jean-Marie Gleize, "Tarnac"

11 mars 2011

Je hais les dormeurs

11/03/11

"Je hais les dormeurs. Ce sont des morts qui n'ont pas dit leur dernier mot.
Ils méconnaissent la nuit quand elle est pleine. Je ne veux pas qu'on la répudie.
Je veux que l'on se place sous les corbeaux qui abritent les terres de minuit avec leurs ailes ouvertes.


Violette Leduc, "Je hais les dormeurs"

26 févr. 2011


Ligne 11, Jourdain. Sièges à tissu râpeux où s'entrecroisent fils bleus, fils foncés, fils beiges qu'on se force à regarder une fois rendu à son trajet secret. Une brûlerie de café, une bouche de métro (toi dans cette lumière verte), le Prisu bas de plafond, les marches de la crèche. L'étage de la Gitane qui bondit vers le toit de l'église - assis, on boit les cloches. Enfin Jim Morrison de la rue Beautreillis passe en carte postale, adresse/visage sur présentoir.

et pendant ce temps-là ça ne commence pas, impression de flotter sous un plafond de verre
quand on sort c'est aux bruits qu'on se repère
et pendant tout ce temps les rythmes les scansions
les voix la place dans la ville la courbe la vitesse
on les prend les arrache
les messages les slogans ne nous atteignent plus.


Anne Savelli, Franck
Stock, 2010

18 févr. 2011


(...) entre eux tous passer contre et tendre, glisser vers le reflet de l'eau
dans une bibliothèque vitrée, vers le lit devant une fenêtre, sur la plage
devant le Grand Hôtel, à Balbec remuer des algues.
(...)
des portes matelassées, sans poignée, que l'on pousse pour surprendre
ce qui se joue sous la ligne de basse. Aimer stationner dans le sas,
entre deux épaisseurs, et se faire oublier.
(...)
Chercher dans la ville ce qui détourne, apaise, le balancement, le suspens.
Les pas qu'on n'entend plus, la fin des ordres, un rythme à soi dans le
franchissement des carrefours.


Anne Savelli, Franck
Stock, 2010

7 févr. 2011

07/02/11
"Qu'il voyage  ou marche dans la campagne, qu'il soit tenu de renoncer à visiter un monument, à atteindre un point de vue, ou un arbre isolé sur l'horizon, il n'était jamais parvenu à se débarrasser de l'impression que c'est très précisément là, au-delà de la limite qu'il venait de se fixer pour le retour, que quelque chose, peut être l'attendait.
Pressé par l'heure, ou ses amis qui venaient de rebrousser chemin, il lui arrivait encore d'escalader seul, en toute hâte, un petit tertre, ou de pousser jusqu'au coude de la route, pour contempler l'ultime lambeau de paysage.
Il se demandait si, loin de s'atténuer, cette fébrilité et cet espoir insensé ne s'étaient pas avivés avec l'âge."


Marcel Cohen, "Le Grand paon-de-nuit"

25 janv. 2011

25/01/11
"Un œil de terre est colline.
Une série infinie d'yeux tournés vers l'espace.
Les sillons de l'homme, la paume,
la trace parcourue par les pieds
et par les mains de l'homme.
Sculpture pérenne."


1976 Giuseppe Penone, "Respirer L'ombre"



12 janv. 2011


Rien ne saurait toucher ni attrister la lune
Qui regarde sans broncher depuis sa cagoule d'os.

Elle a l'habitude de ce genre de chose.
Et ses ténèbres craquent, et ses ténèbres durent.


Sylvia Plath, "Extrémité" (fragment)

5 janv. 2011

05/01/11
"Janvier 2004, Kolkata. La gare grouillante de vies. Des morts aussi. Revenu deux jours dans cette ville, avant de rentrer. Resserrer quelque chose. Dans un nouveau carnet je griffonne, en miniature, la trace de quelques dessins imprimés dans ma mémoire : Eloge du sombre, le Chant de l'aveugle,
L'Homme qui marchait entre les rails, Les Rives du Gange, Terrain de jeu, Le Lait blanc, Vaches, L'Homme qui marche sur une jambe et un bâton... Refaire le chemin vers Howrah Bridge, rester là : aux abords, le gate peuplé de personnes étranges, habitées, qui me permettent de croire que je suis en Inde, le marché aux fleurs naturelles, entières, en morceaux, en guirlandes, surabondantes ; en dessous, un gymnase, les camions, les épices ; dessus, l'incessant trafic dans lequel je me glisse, la masse vivante des hommes qui courent doucement, avec des charges trop lourdes, des femmes qui marchent un peu moins alourdies, souvent pieds nus, reliant les deux rives, reliant la campagne à la ville, et je suis du crayon cette danse infinie, des heures, tard, que puis-je faire d'autre ? Très vite, je longe le mur habité d'une misère effrayante, abris précaires inondés, m'enfonce dans les trépidations du bazar, mange quelque chose dans la rue, assiste à un cours de danse à la Tagore House, "transverse" une partie de la ville, avale les fumées, m'assieds, dans le noir à peine éclairé, sur le petit banc où Manoj me sert chaque fois le tchaï, dans un tout petit bol en terre crue, fabriqué un peu plus loin, jeté par terre, noyé dans l'eau, presque disparu, remplacé par le plastique. Prendre le temps de cette journée, apprendre à faire le thé avec Manoj. Continuer jusqu'au marché comme tous les soirs de la ville, les halles très hautes, sombres, avec des petites lumières, l'abondance de matières végétales, animales, et la foule chaude. Je me retrouve dans une immense salle avec un bar plein d'alcool, sans femme, sauf la chanteuse, une musique hurlante, qui pousse à sortir, dans la ville la nuit. Peu importe demain, une journée pleine."

Jean-François Pirson "Comme une danse", notes de voyage
paru dans Les Carnets du Paysage n°13 & 14

28 déc. 2010

28/12/10
"Préférer la nuit. Préférer le bateau du soir, l'appareillage en gare maritime de Naples, la trace d'une route vers le sud, huit heures d'affilée, régime à quinze nœuds, navire vaillant sur son erre, préférer le souffle des machines, la puissance des moteurs, préférer la vitesse, le vent dans la bouche, les cheveux chassés sur les fronts limpides, les yeux qui brillent et le monde comme un disque au cœur duquel se placer soi, éventé et droit comme un I, l'abdomen en chambre d'écho, la peau nue et d'autres yeux derrière la tête, soi-même donc, à poste, centreur mécanique pour que tout cela tourne, tourne, tourne. A l'aube, tout de même, déballonner le torse et ralentir un peu."

Maylis de Kérangal, "Sous la cendre" (Ni Fleurs ni couronnes)

13 déc. 2010

13/12/10
“Transformer la vue imparfaite qu'on a de cette fenêtre en petit paysage idéal, ne laisser qu'un seul arbre par champ, une maison est un simple cube, etc., les lointains sont rendus par la perspective aérienne, un pré miniature est entouré de haies, couvertes de treilles entrelacées, à chaque coin, la forme trapézoïdale au fond rend ce pré presque vertical à l'œil, devant les animaux agrandis familiers importants, lapins fluo au repos, patte repliée, oreille paresseuse, rêvant à un grand champ pour lui tout seul, 50% luzerne, 50% trèfle, entouré d'un bonne clôture enterrée anti-renard, une source surgit au beau milieu, entre deux grosses pierres, il fait beau."

Olivier Cadiot, "Retour définitif et durable de l'être aimé"

24 nov. 2010

24/11/10
"Je ferme les yeux, je saute. A l'instant de la chute je contemplerai le paysage. Ca me rappelle une histoire d'alpinistes. Dans un passage dangereux le premier de cordée dit à ses compagnons, Si jamais vous tombez (quatre cents mètres d'à-pic) n'oubliez pas de regarder à gauche avec un peu de chance vous pourrez admirer quelques secondes le coucher du soleil sur le mont Blanc."


Annie Saumont, "koman sa sécri émé ?"

16 nov. 2010

16/11/10
"Au début un nuage minuscule était doré."


Marie Cosnay, "Trois Meurtres"

9 nov. 2010

9/11/10
"Dès le matin la lumière parle et je l'écoute, sans plus me demander si je fais bien ou mal, si je ne suis pas

ridicule. C'est d'abord comme une jeune fille qui passerait de porte en porte éveiller un à un les habitants

de ce village, c'est quelque chose aussi de frais qui ruisselle sur les pierres, qui lave les murs de toutes les

taches de la nuit, c'est une sorte de voirie de l'âme."

Philippe Jaccottet, "La Promenade sous les arbres"

1 nov. 2010

ensuite, il arrive qu'elles s'endorment

1/11/10

ensuite, il arrive qu'elles s'endorment

herbes et ficelles, et qu'elles restent

appellent très doucement, jouent avec les sauterelles

rêvent, rêvent, rêvent, se rassurent



regardent la poussière, discutent

passerelles d'os secs, osent un peu de sel, rêvent

temps ténu, os blancs, sel, certitudes et se terrent

bruissement de la terre, marée, odeur mouillée "



Brigitte Mouchel
extrait de latence, "événements du paysage"
éd. isabelle sauvage

13 oct. 2010


  jeudi — Retour de la pluie, de la vitre sculptée au canif. Ecrire
  c'est posséder, c'est obtenir le monde dès que la phrase se forme,
  au moment même où les yeux toujours rivés à la fenêtre, vous
  retenez la bribe.

 Anne Savelli, "Fenêtres Open Space"

5 oct. 2010

Un homme marche dans les feuilles

5/10/10

"Un homme marche dans les feuilles,


non loin du pavillon. Il se déplace  si


lentement, avec tant de précautions


qu'il ne s'aperçoit pas qu'un arbre


le suit.




Thierry Metz, "L'homme qui penche"

28 sept. 2010

Ce sont les gendarmes qui ont amené Rainer

28/09/10

"Ce sont les gendarmes qui ont amené
Rainer, l'Allemand. Il traînait dans
une gare, sans papiers, sans argent,
sans parler un mot de français.


Très grand, costaud, les cheveux
courts : on ne sait pas exactement
d'où il vient, quelque part dans l'ex-
Allemagne de l'Est.


De visage et de gabarit on dirait un
lutteur arménien ou turc mais il
n'est pas violent, peut être un peu
irascible.


Il boite légèrement et joue aux
échecs. On a déjà fait plusieurs
parties que j'ai perdues. Mais le plus
souvent il regarde la télévision ou se
tient des discours, seul, sous le
préau.


J'aime ses manières.


J'aime qu'il soit là, comme une
énigme. Et il le sait. Avec ses yeux et
ses mains. Dans les seules traces de
son être."


Thierry Metz, "L'homme qui penche"

17 sept. 2010

17/09/10
“J'avais accepté que coexistent des réalités diverses, deux au moins, et qu'il n'y ait pas de passages.
 J'inventais la folie mais je tenais sur mes pieds, et présumais de mes forces.”

Marie Cosnay, "Villa Chagrin"

10 sept. 2010

10/09/10
"17 août. Huit heures. — Louis arrive avec le camion. On charge les décombres, les pierres.
On range les bois : planches et madriers. Le Corps a vite chaud. On s’arrête un instant.
Pour souffler. Pour regarder ce qu’on a fait. Et ce qui reste. On bavarde. Nos voix sont en sueur.
Louis s’éponge avec un mouchoir de grand-mère,immense et brodé d’initiales, qui sent la cendre et la pluie.
On écoute ce qui a lieu dehors, ce qui passe. Puis très vite : tout devient silence, tout devient geste. On n’entend plus que nos pelles qui raclent l’inépuisable."


Thierry Metz, "Le Journal d’un Manœuvre

3 sept. 2010

3/09/10

On passe d'une chose à l'autre. Très vite. Pas

moyen de s'arrêter une seconde pour désigner le

nuage. Et plus loin : les violences. Personne ici

ne pourrait parler du feu. Tout reste entre nous.

Jamais dit.

On n'est convié à rien puisqu'on n'a pas de

mots.


Que des outils...

C'est tout.


Ecris ton poème maintenant.



Thierry Metz, "Le journal d'un manœuvre".

27 août 2010

27/08/10

"C'est à Pékin que j'ai compris le saule, pas le pleureur, le saule, à peine incliné, l'arbre chinois par excellence.
Le saule a quelque chose d'évasif. Son feuillage est impalpable, son mouvement ressemble à un confluent de courants. Il y en a plus qu'on n'en voit, qu'il n'en montre. L'arbre le moins ostentatoire. Et quoique
toujours frissonnant (pas le frissonnement bref et inquiet des bouleaux et des peupliers), il n'a pas l'air en lui-même, ni attaché, mais toujours  voguant et nageant pour se maintenir sur place dans le vent, comme le poisson dans le courant de la rivière. C'est petit à petit que le saule vous forme, chaque matin vous donnant sa leçon. Et un repos fait de vibrations vous saisit, si bien que pour finir, on ne peut plus ouvrir la fenêtre sans avoir envie de pleurer."


Henri Michaux , "Un barbare en Asie"

13 août 2010

13/08/10
(...)
je suis allé rencontre qui souffre qui n'en peut plus exaspérée
je suis allé rencontre peuple rencontré dans villes dans villages dans campagnes dans ateliers bureaux
dans écoles dans hôpitaux dans centre rééducation dans maison retraite partout gens qui vivent par travail
par souffrance par rêves par ambitions ces sans grade ces anonymes ces gens
c'est pour eux
je veux être leur
je veux être celui
je veux être leur
je veux être du peuple et non des médias des appareils de tel ou tel
je veux être du peuple parce que des mois j'ai vu le peuple
j'ai vu
j'ai compris
j'ai mesuré
j'ai pris conscience
j'ai pris conscience


ensemble
ensemble
(...)


Emmanuel Adely, "Cinq suites pour violence sexuelle"

5 août 2010

5/08/10
Pointdevue&
images


et si on se donnait
les moyens de passer un bel
après-midi
on pourrait
se promener dans
l'appartement
des étoiles filantes
tomberaient du plafond de
la chambre et
des rires s'échapperaient
du frigo
nos problèmes d'argent
finiraient dans le lave
linge et
nos conversations seraient
plus rapides que dans un
dessin animé


Jean-Marc Flahaut, pour la revue numérique "D'ici Là n°5"

15 juil. 2010

15/07/10

"L'extérieur est à l'extérieur de l'extérieur. L'intérieur n'est à l'extérieur de rien. L'intérieur est à l'extérieur de l'intérieur. L'extérieur n'est pas à l'extérieur de lui. L'intérieur n'est pas à l'intérieur de l'extérieur. L'intérieur n'est pas à l'extérieur de l'extérieur. L'intérieur n'est pas à  l'intérieur de rien. L'intérieur est à l'intérieur de lui. L'extérieur n'est pas à l'intérieur de rien. L'intérieur n'est pas à l'extérieur de lui. L'intérieur est à l'intérieur de l'intérieur. Rien n'est à l'intérieur de toi. L'intérieur n'est pas à l'extérieur de l'intérieur. L'extérieur est à l'intérieur de soi. Tu n'es pas à l'extérieur de toi. Tu n'es pas à l'intérieur de rien. L'extérieur n'est pas à l'intérieur de soi. Rien n'est à l'extérieur de l'intérieur. L'extérieur n'est pas à l'intérieur de l'intérieur. Tu es à l'extérieur de toi. L'extérieur n'est pas à l'intérieur de rien. Tu es à l'extérieur de l'intérieur. L'intérieur n'est pas à l'intérieur de soi. L'extérieur est à l'intérieur de toi. Rien n'est à l'intérieur de l'intérieur. Rien n'est à l'intérieur de l'extérieur. L'intérieur est à l'intérieur de soi. L'extérieur est à l'intérieur de l'intérieur. L'extérieur n'est pas à l'intérieur de l'extérieur. L'intérieur n'est pas à l'extérieur de soi. Rien n'est à l'extérieur de soi. L'intérieur est à l'intérieur de l'extérieur. Tout est à l'extérieur de toi. L'extérieur est à l'extérieur de soi. Tu es à l'intérieur de toi. Tu n'es pas à l'intérieur de l'extérieur. Il est à l'intérieur de lui. L'extérieur n'est pas à l'extérieur de rien. Rien n'est à l'intérieur de lui."


Valère Novarina, "Vous qui habitez le temps"

6 juil. 2010

6/07/10

There's a shadow over the city
the tight, as usual, framing and erasing


Just say you
dream fires each
night smoothing each
collapsing page from


the throat talking
in a series
of measures in
the high desert


the perfect life
in a series
of measured gestures
an invitation to


see the world
from a bridge
that burns in
the next night


Il y a une ombre au dessus de la ville
la lumière qui, comme d'habitude, encadre et efface


Dis simplement que tu
rêves des feux chaque
nuit lissant de chaque
page l'effondrement


de la gorge qui porte
dans une suite
des mesures en
plein désert


la vie parfaite
dans une suite
de gestes mesurés
une invitation à


voir le monde
d'un pont
qui brûle dans
la nuit d'à côté


Norma Cole, "Mascaret"

28 juin 2010

les trottoirs sont pleins de chercheurs de chambre et de donneurs de chambre

28/06/10

"(...) les trottoirs sont pleins de chercheurs de chambre et de donneurs de chambre, et si tu crois que c'est seulement pour parler, non, je n'en ai pas besoin comme dehors tous ces cons, je ne suis pas comme eux, je suis le mec, moi, plutôt que de parler, à suivre une belle nana pour la regarder, et la regarder seulement, pourquoi faire autre chose que de regarder une belle nana, et même je suis le mec, moi, plutôt que de regarder une nana, à marcher seulement, et cela me suffit comme occupation, toute ma vie je veux bien me balader, courir de temps en temps, m'arrêter sur un banc, marcher lentement ou plus vite, sans jamais parler, mais, toi, ce n'est pas pareil, et cela, dès que je t'ai vu, et maintenant il faut que je t'explique tout, puisque j'ai commencé, sans que tu te barres et me laisses comme un con, même si maintenant j'ai pris une sale gueule, que ni mes cheveux ni mes fringues ne sèchent, que je ne voudrais pas regarder dans mon dos le miroir alors que toi, la pluie ne t'a même pas mouillé, la pluie a passé à côté de toi, les heures passent à côté de toi, c'est là que j'ai eu raison de comprendre que, toi tu n'es qu'un enfant, tout te passe à côté, rien ne bouge, rien ne prend une sale gueule, moi, j'évite les miroirs et je n'arrête pas de te regarder, toi qui ne change pas, et s'il n'y avait pas cette question d'argent, je nous paierais une bière (...)”

Bernard-Marie Koltès, "La nuit juste avant les forêts"

21 juin 2010

21/06/10
VII


"Je suis dans le champ
 comme une goutte d'eau
 sur du fer rouge


 lui-même s'éclipse


 les pierres s'ouvrent


 comme une pile d'assiettes
 que l'on tient
 dans ses bras


 quand le soir souffle

 je reste
 avec ces assiettes blanches et froides

 comme si je tenais la terre
 elle-même


 dans mes bras."


André Du Bouchet, "Le Moteur Blanc"(Dans la Chaleur Vacante).

15 juin 2010

15/06/10
V


"Je sors
dans la chambre


comme si j'étais dehors


parmi des meubles
immobiles


dans la chaleur qui tremble


toute seule


hors de son feu


il n'y a toujours
rien


le vent."




André Du Bouchet, "Le Moteur Blanc"

8 juin 2010

8/06/10
III


"Mon récit sera la branche noire


 qui fait un coude dans le ciel."




André Du Bouchet, "Le Moteur Blanc".

2 juin 2010

2/06/10
 "Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
  Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
  Assez connu. Les arrêts de la vie. - O rumeurs et Visions !
  Départ dans l'affection et le bruit neufs ! "


  Arthur Rimbaud,  "Départ", (Illuminations).

27 mai 2010

27/05/10
“Sur une grande route, il n'est pas rare de voir une vague, une vague toute seule, une vague à part de l'océan.
Elle n'a aucune utilité, ne constitue pas un jeu.
C'est un cas de spontanéité magique.”


Henri Michaux, “Ailleurs” (Au pays de la magie).

18 mai 2010


Au printemps, les vases du jardin garnis par hasard de plantes semées par le vent, étaient gais comme d'ordinaire. Les violettes poussaient et les narcisses. Mais la quiétude et l'éclat du jour étaient aussi étranges que le chaos et le tumulte de la nuit, avec les arbres debout à cette place, et les fleurs debout à cette place, à regarder devant eux, à regarder en l'air, sans rien voir cependant, sans yeux, et si terribles.


"In spring the garden urns casually filled with wind
blown plants were gay as ever. Violets came and
daffodils. But the stillness and the brightness of the
day were as strange as the chaos and tumult of night,
with the trees standing there, and the flowers
standing there, lookind before them, looking up, yet
beholding nothing, eyeless, and so terrible."


Virginia Woolf, "Time Passes"

11 mai 2010

11/05/10

“Un costume a été conçu pour prononcer la lettre "R". Ils ont aussi un costume pour prononcer la lettre "Vstts". 
Pour le reste on peut s'en tirer, à l'exception toutefois de la lettre "Khng".
Mais il y a le prix considérable de ces trois costumes. Beaucoup de gens n'ayant pas les moyens de les acheter 
ne peuvent au passage de ces lettres, que bredouiller; ou bien c'est qu'ils sont très, très forts en magie.”


Henri Michaux, "Ailleurs” (Au pays de la Magie).
 

2 mai 2010

2/05/10

... Ah! nous avions des mots pour toi et nous n'avions assez de mots,

Et voici que l'amour nous confond à l'objet même de ces mots,

Et ces mots pour nous ils ne sont plus, n'étant plus signes ni parures,

Mais la chose même qu'ils figurent et la chose même qu'ils paraient ;

Ou mieux, te récitant toi-même, le récit, voici que nous te devenons toi-même, le récit,

Et toi-même sommes-nous, qui nous étais l'Inconciliable : le texte même et sa substance et son mouvement de mer,

Et la grande robe prosodique dont nous nous revêtons...”


Saint-John Perse, "Amers"