29 août 2016

"Ne vous servez pas du téléphone
Les gens ne sont jamais prêts à répondre
Servez-vous de la poésie. »

Jack Kerouac, "à Edward Dahlberg » (1970)
« Poèmes » , Seghers, 2002

19 août 2016


« Your concept is clear, to practise dreaming then to dream then to make a record. » «  Ton concept est clair, t'exercer à rêver puis rêver puis prendre des notes » 

Lisa Robertson, Cinéma du présent
éditions Théâtre Typographique, 2015 ( trad. Pascal Poyet)

8 août 2016


« Tu sais que tu as des os, un squelette, du sang et de l’eau ?

Tu sais que tu as des pompes dans le corps, des mécanismes, des mouvements et des gestes minuscules ?

Tu sais que c’est en permanence, en permanence, tu sais que c’est en permanence ?

Tu sais que le foie et le cœur se parlent, que les yeux et les intestins se parlent, tu sais que le côlon et la trachée et les poumons et le pancréas et les glandes et les vaisseaux sanguins font tous tes mouvements ?

Et tu entends ce qui sort de ta bouche ? »

Laura Vazquez, "La Main de la main"
Cheyenne éditeur, 2014

22 juil. 2016

« Nos ciels sont des inventions, des durées, des découvertes, des quotas, des contrefaçons, parfaits et magnifiques. Parfaits et magnifiques. Frais et brillants. Célestes et brillants. Le jour déverse l’espace, un rouge clair ample, brillant et frais. Brillant et maintes fois. Brillant et frais. Pétillant et humide. Clameur et teinte. Nous parcourons les champs spacieux, un tour de rempart et rapide. Brillant et argent. Rubans et défauts. Vers et depuis. Fin et grand. Le ciel est complexe et abîmé et nous sommes là-haut dedans, flottant près de la papillotte d’abricot, le biais piqué, près de la partie morose boursouflée qui se dissout en argent, en bronze l’instant d’après mais rien de significatif, une brèche de vert bleu, une syllabe, nous coupons tous à travers l’andain de molleton déployé, la corde effilée, le hêtre rouge derrière le catalpa d’aluminium qui a économisé tout le printemps pour ce vol, ses hauteurs une partie du ciel, le vent léger retournant le dessous blanc des feuilles, de nouveau le paradis, la partie brossée derrière, la chute. »

Lisa Robertson, « Le temps », 2001
traduit par Eric Suchère
éditions Nous, 2016

13 juil. 2016


«  Le ciel est un premier pas vers l’abstraction. »


Ito Naga, « NGC 224 »
Cheyne Éditeur, 2013

5 juil. 2016



« Nous avons coutume ici d’accueillir des enfants, c’est-à-dire de les mettre au monde comme ailleurs on capture des éléphants sauvages. Ceux qui capturent les éléphants sauvages afin de se les approprier se doivent de développer une argumentation suffisamment forte pour convaincre l’éléphant que sa vie en captivité sera mille fois plus belle que celle qu’il aurait pu vivre à l’état naturel. Cette argumentation prenait chez les Thaï la forme d’un poème forcément long car bourré de mensonges et le poème prenait forcément l’allure d’un chant vantant les richesses et les beautés de la maison d’accueil. Au moins, il y avait un chant pour les recevoir. Les enfants que nous avons toujours appelés avec des mots doux viennent au monde la nuit ou le jour et nous suivent sans que nous devions leur promettre quoi que ce soit. En vérité, il n’y a ni chant ni promesse aucune mais, au contraire, une sorte de supercherie du silence, supercherie dont nous aussi nous avons été et sommes dupes pour l’éternité. Alors, chantons et promettons avant qu’il ne soit trop tard pour parler, même si aux mots se mêlent bon nombre de mensonges et, par là, vérifions nos fondations avant qu’elles ne se désagrègent. »


Eugène Savitzkaya, « Marin mon coeur »
les Éditions de Minuit, 1992.

15 juin 2016


"Au fur et à mesure que s’est fait ce dernier voyage

Paysages déjà parcourus, des endroits connus,
Le livre a continué de se construire : d’autres brouillons de poèmes,
Et des rythmes pour organiser l’ensemble, venus
À cause de ce qu’on voit, couleurs précipitées des cabines de camions,
Celles reposées des tapis navajos, ou de Chimayo, autant
Que des choses lues dans des livres, des dépliants,
Ou sur des panneaux (cafés, bords de routes, et les musées)…
Des choses qui sont d’un coup là et que l’œil croit comprendre
Et d’autres qui emportent dans le silence
Au détour d’un geste ou d’un mot, ou parce que le paysage dans son éloignement
N’est déjà plus rien qu’on pourrait raconter »


James Sacré, "Et puis la main reprend son ouvrage", dans « 31 poèmes de L’Amérique un peu »
éditions Contre-Pied

26 mai 2016


"la fiction peut te faire avaler des
couleuvres luisantes retorses et belles
comme des fins de jour, en fermant
les volets l’odeur arrive toute proche,
brusquement, un dehors au-delà, un
ailleurs, un parfum qu’on ne peut
contenir, ce moment, dit quelqu’un,
ce moment il te faut l’accepter avec
sagesse, comprendre que cette beauté
existe sans toi, un compromis à faire,
l’acceptation du dérisoire, d’être ce
dérisoire, de n’être que, borné,
futilité, la fin, la fin du jour non plus
ne sait pas se relire, ne le désire pas,
ne se relira pas, ne reviendra pas en
arrière et il faudra humer le jour,
oblique / à travers lui ou alors se
pencher, courber la tête, comme il le
fait comme elle le fait « 


Christine Jeanney, Oblique
éditions Publie.net, 2016

13 mai 2016

 "Marcher est danser : balancier des bras, ciseaux des jambes, au rythme des mots lus, vus ou pensés, dans un parcours urbain ou rural.

Une chorégraphie liée à ce que je vois, sens, entends, goûte ou touche, à quoi s'ajoutent les souvenirs réactivés par les sensations.

Je suis chez moi ici ou là. Le monde est vraiment un atelier. J'avance dans l'aujourd'hui sur l'axe du futur.

Le passé flotte au-dessus comme un ballon captif. Pensées naissantes, conversations ébauchées, lambeaux de mots, gestes esquissés, images s'évanouissant fade away.

J'assiste à des rencontres : "Parapluie - Machine à coudre", "Arrosoir - Clé usb", "Sac de charbon - Coyote", "Codex maya - Assiette de frites", "Kerouac - Tarkovsky".

Je saisis une conversation entre un chaman et Catwoman, entre un ventriloque et une danseuse égyptienne. Je chemine tranquillement dans l'espace imagiréel." (...)

Lucien Suel, "Devenir le poème"
"Je suis debout" éd. La Table Ronde 2014

4 mai 2016

(séquence 413)

je me sens américain, je suis un poète américain, I am, yo soy, un poète new-yorkais argentin québécois cherokee nicaraguayen, je suis prêt à entonner Hourrah America avec tous les métis et tous les gringos, je suis prêt à fonder uneInternationalepoétiquemaisàmoitoutseul, et si la première Internationale a vu le jour à S. Martin’s Hall je n’y peux rien, ce matin je me lève tôt, je m’envole pour Manhattan acheté aux Algonquins 24 dollars par le gouverneur Minuit, je pousse jusqu’aux forêts d’érables sous la première neige de Mont-Royal, je fais une halte à Managua où le président Sandino imite le président Washington et retourne sur ses terres, lui c’est la canne à sucre et une coopérative car cent cinquante ans ont passé, je lis mes poèmes devant trois cavaliers dont les éperons brillent dans le soleil couchant, je reviens dormir le soir à Cordoba province de Cordoba.


Bernard Chambaz, ÉTÉ, chant V
Flammarion 2005


19 avr. 2016



"Maintenant, je suis derrière une table quelconque
sur laquelle on a placé une jacinthe. Cette fleur se trouve
entre mes yeux et la lumière, qui vient d'une fenêtre
proche. Lumière douce. Lumière qui baigne. Soudain,
la jacinthe m'apparaît moins chargée de corolles que
couverte d'air."

Bernard Noël, "Journal du regard"
POL 1988

30 mars 2016


"le sol moquetté — la longueur des avenues — la réciprocité des vues — l'absence d'immobilité — les chaînes de protection — les halls sombres — les bruits de conversation — la fragmentation — le journal — la nouveauté — la chaleur suffocante — le refuge de la climatisation — la recherche d'une carte — le surnombre — en short — tee-shirts — sandales — les sentiments relégués — la position allongée — la fiction — les miroirs — les séries b — le premier contact — la précarité — la collecte — les lieux communs — les récurrences — les cheveux courts — les employés latinos — les chevrolet déglinguées — les journaux gratuits — les maisons préfabriquées — les abs homes — les herbes hautes — les jardins abandonnés — les fenêtres condamnées — la culture du drapeau — les rues centrales — l'adresse spontanée — le calme — les résidences — la verdure — le parc — les tunnels — les films — le taxi 743 — les dispositions — la couverture — le temps — la préférence du documentaire — le choix de l'inventaire — les serveuses — l'insistance — la gentillesse — le pourboire — le local — le national — l'international — les boîtes d'œufs — les morceaux de viande — le prix du vin — la proportions des réfrigérateurs — la crainte de bouger — de se déplacer — la fumée — les escaliers — les cours — l'étendue — le souvenir d'izumi — les commerçants — les indiens — les billets — la loterie — les gains éventuels — le métro surélevé — le périmètre délimité — les marches — courses — pédalages — exploration physique de la carte — la nécessité de sortir de la zone initiale — l'immensité du lac"

Eric Giraud, La fabrication des américains
éditions Contre-Pied 2005

16 mars 2016



"À un moment donné de ma vie j'ai surgi.

J'ai arrosé autour de moi, étayé les allées, bouleversé les
buissons, mâtiné les œillets, entrelacé les grillages, j'ai 
cultivé mon jardin. Aux dires des voisins j'ai un beau pavillon. "


Dorothé Volut, "Scènes extérieures"
éditions Contre-Pied 2010

3 mars 2016


"Est la distance lente qui se déplace lentement, 
une ligne fine qui mène l’œil errant."


extrait de "Paysages sur un train", Cole Swensen
Poème est extrait de Landscapes on a train, Nightboat Editions

24 févr. 2016

Je vis

Je vis, dit la femme changée en bûche, dans la crainte que du genou ne me viennent des racines qui soudain me retiendraient au sol en un lieu que je n'aurais eu le temps de choisir, ou que du dos me sortent deux grandes ailes dont je n'aurais que faire, ou que mes yeux se ferment, ou que mes bras s'allongent jusqu'à terre (mon buste secoué par la bourrasque oscillant comme un roseau).

Marie N'Diaye, La femme changée en bûche


10 févr. 2016



"Il pose l'index sur chaque défaut, déchirure, plaie, lézarde, démontrant d'un seul geste l'extrême fragilité des murs, des planches, des métaux et de la peau, et soulignant les accidents de l'uniforme enveloppe visible. Les étangs sont striés de stries brisées, la surface des fleuves n'est pas plate. Tout est troué, même l'air."

 Eugène Savitzkaya, "Marin mon coeur"

27 janv. 2016



"les détroits

les isthmes

les îles nénuphars

les lacs de mercure

les processions d'îles

les marécages

les caravanes d'îles sur la mer d'étain

les criques

les joncs pâles"



"Archipel", Claude Simon

 

14 janv. 2016



The sun 

winding the yellow bindweed about a 
bush; worms and gnats, life under a stone. 
The pitiful snake with its mosaic skin 
and frantic tongue. The horse, the bull 
the whole din of fracturing thought 
as it falls tinnily to nothing upon the streets 
and the absurd dignity of a locomotive 
hauling freight — 

"Le soleil

qui suit le liseron jaune pris dans un
buisson ; les vers et les moucherons, la vie sous la pierre.
Le pauvre serpent à la peau de mosaïques,
à la langue frénétique. Le cheval, le taureau,
tout le vacarme de la pensée brisée
qui tombe inutilement sur les rues,
et l'absurde dignité d'une locomotive
tirant des wagons de marchandises - "



William Carlos Williams, "Paterson" 
traduit par Yves Di Manno éd. José Corti 2005

29 déc. 2015



"Un de ces jours j'écrirai quelque chose sur Londres pour dire comment la ville prend le relais de votre vie personnelle et la continue sans le moindre effort".

Virginia Woolf, "Journal, 26 mai 1926"

16 déc. 2015



"Oui cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d’une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, 
où les gens se croisent presque sans se voir, où la vie de l’immeuble se répercute, lointaine et régulière."

Georges Perec / La vie mode d’emploi

2 déc. 2015


"Tout recommence jamais, sinon par le début du moins par n'importe quel 
point de la ligne de fuite où je me tiens avec mes nuages depuis la haute 
enfance et lexique, nubilarium, hangar pour protéger la moisson contre la 
pluie, retour à la case départ, Malherbe Pound William Carlos Williams, 
l'homme à la brouette de Paterson le bien nommé, tu ouvres une page au 
hasard et tu tombes sur
son ventre est
un nuage
vespéral
et tu n'as plus qu'à lui tirer un grand
coup de chapeau et à mettre le bon rythme dans les embruns roses du Niagara
et à te dire qu'à cinquante ans de distance tu n'es pas si loin."


Bernard Chambaz "Été", (séquence 141)

25 nov. 2015



« Très bien ici — le port — la rivière — 
Petite ville — 
Toujours lentement le même temps.  »

Danielle Collobert (carnet)
(par Françoise Morvan Danielle Collobert | Françoise Morvan)

9 nov. 2015


La nuit le ciel, corps
le silence en bord de pierre
qui fait un établi tel
qu'ils dorment mes deux
amis, sous la tente.

La nuit le ciel, sort
je sors, je marche par terre
où interroger le bel
enroulement de
minuit, sur les pentes.

La nuit le ciel, tors
ce corps d'ombre assis : je n'erre
plus, je vais tout droit vers quel
Indien venu, nœud
devant lui les sentes.


Christophe Lamiot Enos "Nuit à Yosemite" in "Albany, des pommes et des oranges, Californie II."
éd. Flammarion 2006.

31 oct. 2015


"En TGV, à la tombée du soir, d'un côté, une lumière encore présente, un ciel laiteux, cuivré à la ligne d'horizon. De l'autre côté de l'allée, le plomb de la nuit qui monte des arbres, comme les tableaux de Magritte le montrent très bien, la nuit ne tombe pas, elle s'élève de la terre. De ce côté-là, une lune pleine et blanche. Comme si la course du train séparait le jour de la nuit."

Jane Sautière, "Stations (entre les lignes)"
éd. verticales 2015

14 oct. 2015


"Maintenant je regarde la vallée
Par la fenêtre d'un restau qu'ont installé les Indiens
navajos
En surplomb de tant d'espace rouge et de ciel.
Quelques notes prises tout à l'heure
En allant d'un endroit l'autre. Le parcours qu'on peut faire
A été réduit, on ne va plus
Jusqu'à cet endroit d'une rivière
Avec un arbre seul, une sorte de pompe à eau
Un endroit comme un sourire maintenant caché
Dans tout ce rouge douloureusement debout."


James Sacré, "America Solitudes"
André Dimanche Editeur 2010

5 oct. 2015


"(...) Quelqu'un t'appelle dans la cuisine
pour le partage

de la faim & l'encre d'aube des journaux, tu sens
le savon en solde
dit-il & rires & manger, l'espoir entier est inventé bien sûr

mais on mesure mieux
comme ça le pouls apaisé indispensable

à la solidité de la maison
sous toutes les lampes allumées de la respiration
où quel consolateur laisse entrer

2 par 2
ok nous les finalement fragiles (...)"



Stéphane Bouquet "Les amours suivants" 
Champ Vallon 2013

18 sept. 2015


"jour 5 : vendredi décontrac, on a tous
beaucoup bossé
même si les jeunes diraient plutôt

on a tous beaucoup taffé, je pense à
s'entre trouver ce week-end je pense à

quelque chose d'aussi battant - fragile
qu'une lamelle / coupe dans un coeur d'oiseau"


Stéphane Bouquet, "Les amours suivants"
Champ Vallon 2013

11 sept. 2015


"6:02 jour baie / manteau épaule éblouissante avec quelque bleu / bâtiment paquebot en place là-bas fond de cadre 23 mai 2012 / quelqu'un dit elle dort ou quoi / on voit des pigeons / solitude noire en longs tuyaux sur toit comme mélancolie urbaine couchée / quelqu'un demande elle va entrer à l'écrirlir / absence de chat roux / aucune mésange / quelq'un dit quel drôle de lieu / on n'entend pas quelqu'un descendre l'escalier / quelqu'un dit il y a des bruits métalliques dans un couloir / quelqu'un dit elle n'a pas de réseau / quelqu'un dit si / fumée grise en partance au-dessus d'un immeuble blanc plâtre / on aperçoit le dessus de marronniers / quelques terrasses en feuillages derrière sortes de canisses / pas de tasse rouge à points blancs ni de thé vert / quelqu'un dit écrire oui lire non car peu d'accès au webmonde / quelqu'un dit sauver sa peau jusqu'à to day / baleine échouée en rose gum là-bas /"

Maryse Hache, baleine paysage (143)
éd. Publie.net, 2015

1 sept. 2015

"... or le corps et la tête ne cessent de lier, relier ce qui est à tout ce qui a été, pourvu qu'on veuille bien suivre cette traînée rouge qui fuse du présent. Un fait n'est jamais singulier : s'il touche c'est qu'il est épais." 
Antoine Emaz, "Lichen encore"

14 août 2015


"Et puis inversement un gris allégé par du souffre et des oxydes, un gris vivant et mobile dans lequel les structures des nuages composaient et décomposaient des mondes, drame sans furie agité dans les hauteurs par d'invisibles et souples machines, gris dilué d'embruns et de lueurs portés par la haute mer, la terre cette fois-là impuissante à contribuer au spectacle par un reflet d'elle-même — sinon une sorte d'élongation rousse et tremblante, terre repliée et solide comme une plaque, spectatrice émue et fraîche, préoccupée de ses abris et pourtant offerte."

Jean-Christophe Bailly, "Description d'Olonne" (ciels)

3 août 2015

(...)

Je prépare des poèmes culinaires, des ballades reposantes, des sculptures de pâtisserie, des accumulations de phonèmes, des étagères de livres et de bocaux.

Assis comme un nuage stagnant sous le soleil au centre du jardin, je dilate mes molécules sans me soucier du nombre d'Avogadro.

Je vis la quotidienneté en continu. Je suis debout, tenant dans mes mains levées l'écheveau du rêve et les fils du réel.

Je dévide le codex des archives, brouillons de projets, lettres entassées dans des cartons, relevés de comptes, cahiers raturés, cartes postales, photos floues.

Avions et oiseaux tracent des lignes  dans le ciel ; je déchiffre sur la terre le grimoire laissé par les ombres de leurs trajectoires.

Je vois là-haut le sang qui pulse dans les veines et les artères des pigeons, des anges vagabonds et des hommes voyageurs.

Je capte les pensées fugitives, la prose bop spontanée, le cut-up des langues, sans hiérarchie, ni sélection. Rien que la vie brute.

Tapisserie de rouleaux collés au fil du temps sur les murs des alcôves dans le monde du fleuve, couches successives d'ondes vibratoires.

Je soulève un coin de la tapisserie pour révéler l'évidence : le monde est poème est monde, le poème est monde est poème.

(...)


Lucien, Suel, "Devenir le poème" dans "Je suis debout"
(éd. La Table Ronde, 2014)

9 juil. 2015


"C'est avec retenue que j'évoque les oiseaux : je ne voudrais pas me tromper."

Corinne Le Lepvrier, "Pourquoi la vie est si belle?"

29 juin 2015


"Nous avions l'illusion de fendre cet espace inconnu à mesure que nous allions le parcourant, comme si, avant nous, il n'y eût eu autre chose qu'un vide imminent que notre présence peuplait d'un paysage humain, mais, une fois que  nous l'avions laissé derrière nous, dans cet état de somnolence hallucinée que nous dispensait la monotonie du paysage, nous constations que l'espace dont nous pensions être les fondateurs avait toujours été là et qu'il consentait seulement à se laisser traverser avec indifférence, sans rien garder de nos empreintes et dévorant même celles que nous y avions laissées exprès afin d'être reconnus de ceux qui viendraient après nous. Chaque fois que nous débarquions, nous étions comme un fourmillement fugitif sorti du néant, une fièvre éphémère qui miroitait quelques moments au bord de l'eau et après s'évanouissait."

Juan José Saer, "L'Ancêtre"

21 juin 2015



"A cette heure heureuse, personne ne put le voir normalement sauf les reptiles, on distinguait à travers sa peau transparente des paysages bouger, de la poussière volante, une mouche passant à travers son corps disparu et surtout, en haut à gauche, une masse battre très lentement, comme un serpent : un coeur."

Mathieu Brosseau, "Data Transport"

9 juin 2015


"Il suffirait de s'installer dans une ville,  n'importe laquelle, pourvu que son murmure couvre celui de l'esprit. Il suffirait d'attendre comme quelqu'un qui serait assis dans un immeuble en feu. Se laisser dévorer. On n'écrit jamais que sur des cendres."

Philippe Rahmy, "Béton armé"

1 juin 2015


/ 27 octobre 1935/
En peinture aussi la vérité est près de l'erreur.

Pierre Bonnard, "Observations sur la peinture"

22 mai 2015



"Si fort le désir
qu'il n'est pas facile d'attendre rien :
je me souviens
des jours où j'aurais voulu être heureux."

Paol Keineg, "Mauvaises Langues", extrait de 35.

11 mai 2015

"Des verbes, des verbes qui traversent le monde et qui passent devant et derrière nous, nous entourant comme dans un filet qui serait le chuintement ou la bande-son du sensible"

Jean-Christophe Bailly, "Le parti pris des animaux"

2 mai 2015



"La fenêtre, la théière, la porte, la fenêtre, la chaise, la théière, le contre-jour, la porte, la table, la théière, la chaise, la fenêtre, la chaise, la porte, le couloir, les murs, la table, le plafond, la fenêtre, les rideaux, le mur, le couloir, la théière, le contre-jour, la table, le meuble, la porte, le couloir, la fenêtre, le plafond, la théière,"

Christophe Tarkos, "Ma Langue"

22 avr. 2015

"... le temps dansait
à Téor, appuyé
sur la souche d'un jonc amer,
il dansait sur l'écume de la mer.

Et les gouttières et les ruisselets crachaient
la mer sur les mottes de terre
énivrées de fraîcheur,
et les pigeons énivrés de fraîcheur
dansaient dans les pigeonniers,

l'enfant, des brindilles allumées à la main,
l'enfant dansait avec le frais tison,
sur le dallage tiédi par l'eau
et la mer brillait dans ses yeux,

les paluds dansaient dans son pied,
et son pied respirait
dans le coeur des tarins égarés dans l'eau."


Pier Paolo Pasolini, "Dans le coeur d'un garçonnet", Suite frioulane (1944-49)

15 mars 2015

"Il nous faut arracher la joie aux jours qui filent"

Vladimir Maiakovski

4 mars 2015


"Du ciel, tombent des filaments étincelants, blancs à s'en abîmer les yeux. Je mets mes lunettes de soleil. Ils sont si nombreux qu'on dirait une part du ciel, ils ne tombent pas, ils dérivent. Je me souviens des filandres de mon enfance, que ma mère appelait les fils de la vierge, ces fils immaculés et longs qui volaient dans les beaux jours d'automne, transportant de minuscules araignées migrantes. Les voyageuses comptaient sur les courants d'air pour les emporter un peu plus loin, avant d'abandonner les fils derrières elles, emmêlés aux haies, aux herbes, aux fleurs, aux broussailles, mais elles n'allaient jamais jusqu'en ville. Est-ce moi, en descendant, qui les ai déplacées jusque-là, est-ce nous, habitants des amonts, qui les emmenons dans nos sillages quand nous descendons nos cours, quand nous rejoignons les plats. Je m'imagine arriver ici suivie d'une traîne collante et brillante, échevelée par le vent de la vitesse automobile, j'essaie de me représenter toutes ces queues de comètes arachnéennes accrochées à nos petites Panda, dispersées dans l'air au moindre coup de frein. Mais sérieusement, d'où viennent tous ces fils d'araignée. Ce n'est même pas l'automne."

Emmanuelle Pagano, "Ligne & Fils, Trilogie des rives I"

24 févr. 2015


 "Tu attendais le temps. Quel temps ?
 Le temps est là
 Le temps est là de très bonne heure
 Plus inconnu
 Plus sauvage qu'un caillou blanc "

Henry Bauchau, "Heureux les déliants"

16 févr. 2015



"vous m'avez
dit une fois:

“Si seulement
je pouvais m'alléger

de certaines obligations,
alors, le temps ouvrirait

une clairière devant moi,
une minuscule clairière

hérissée de montagnes
minuscules, faites de

craie baignée dans 
un nuage d'encre,

et les parois que je 
ne ferais que deviner

par frôlements, en me
blessant, finiraient par

me faire admettre
l'évidence de la

rencontre.” Si,
vous me l'avez dit.

Il vous a suffi d'un
seul regard pour

dire ce que je
mets dix-sept vers

pour faire advenir,
et encore

maladroitement,
pour en faire

advenir
le sens."



Matthieu Gosztola "Lettres-poèmes"

5 févr. 2015


"Les jalons dansent, le nord danse. La pensée n'a nulle chance de rien appréhender aussi longtemps qu'elle ne s'est pas mise en posture de danse."

Jean Dubuffet 
"Personne n'est à l'intérieur de rien", l'Atelier Contemporain

27 janv. 2015

« Celui qui ne dit rien
épluche les pommes de terre.
Il en éplucherait
jusqu'au soir et jusqu'à demain
si le tas ne diminuait pas.  »


Fernand Deligny "Essi & Copeaux"

19 janv. 2015




"La mer ne laisse aucune trace : elle agite le temps sans donner de réponse. Cessez de m'écrire, crie quelqu'un."

Dorothée Volut, "A la surface" (voix 12)

5 janv. 2015


"À moi les langues de feu qui embrasent"
Madge Gill 
(exposition de la collection Bruno Decharme, La Maison Rouge, Paris)

6 déc. 2014


"IL, EST UN BEAU MOT QUI VEUT DIRE RENDEZ-VOUS. Et l'on s'amuse à lui trouver quotidiennement un corps. Il, viendra. Je colle sur mon âme un morceau de gaze coupé par ma grand-mère. J'écris fortement le mot buée, puis retourne m'asseoir devant la porte en espérant qu'elle s'ouvre ou se déchire en deux. Il pleut. Dans un coin de la cuisine reste un verre d'eau liquide : un passage pour l'émotion. Chaque mot convie à un engagement — la rose aussi. Il y eut ce trou que Vous aviez creusé un dimanche, l'enveloppe charnelle des heures ramenées au centre. Aux fenêtres de l'école on peut voir désormais les dessins s'accrocher à l'envers. La beauté de l'amour, sans la langue qui va avec."

Dorothée VOLUT, "à la surface" 

(VOIX 12, la Cavalerie, le 21 avril 2006)

1 déc. 2014


"J'écris le mot paysage
je regarde le mot paysage
j'écris le mot maintenant
j'ai trouvé le nom de ce que je vois
je vois un paysage maintenant"

Michaël Battala, "Paysages maintenant"

25 nov. 2014

"Jonas bas à l'horizon et je suis un enfant, je me baisse
pour ramasser quelque chose, une fraise des bois, un baiser
peut-être sur ton front (petite mère en miettes, herbe rare ou rose
regard entre les pierres du songe, et de larmes, de paupières
lourdes, violettes à l'horizon, plus aucune trace...), et vois,
semblable à une lampe (de jour en jour plus faible) ou très jeune
fille en robe rouge (feuilles et sourires), la course folle,
belle course de mon coeur à travers les buissons, les années..."

Laurent Cennamo, "Jonas" dans "Les Rideaux Orange"