15 sept. 2009

15/09/09

“La pluie, le vent, la rosée, le tonnerre sont d'origine céleste. On peut voir la pluie et la rosée, dont toute chose attend l'eau qui la vivifie. Le tonnerre, on ne le voit pas, on l'entend ; 
il en est de même pour le vent.
Mais, à la différence du tonnerre, le vent ne peut produire de sons par lui-même, il dépend pour cela des choses. Les sons qu'il produit, faibles, forts, purs ou troubles, agréables
ou irritants, varient selon les choses. Il ne pourrait tirer un son d'une stèle massive. Mais il gronde lorsqu'il se déchaîne dans une vide et profonde vallée, il mugit quand il soulève
des eaux mouvantes et dociles. Ici comme là, il ne parvient pas à un accord paisible et fait trembler d'effroi ceux qui l'entendent. C'est seulement avec les plantes et les arbres
que son accord est harmonieux. Mais si les feuilles sont trop grandes, le son est émoussé ; si elles sont trop sèches, le son est triste ; si elles sont malingres, le son est grêle. 
Aussi rien ne s'accorde mieux au vent que les pins.
Les pins ont un tronc droit et des branches recourbées, aux rameaux déliés et aux feuilles effilées. Ils prennent des formes extraordinaires ou s'étirent majestueusement en hauteur. 
Ils sont à la fois aériens et massifs, ébouriffés et délicatement ciselés. Le vent souffle sans obstacle à travers eux et produit une musique qui est celle de la nature même. 
A l'écouter, on est délivré de ses tourments et purifié de ses humeurs troubles. On se sent apaisé et détaché, l'esprit dilaté et le cœur léger. On s'envole dans les airs pour
se promener avec le créateur. Ceux qui aiment à vivre cachés dans les monts et les bois en éprouvent une joie plus intense encore et ne peuvent s'en éloigner.
Sur le Pic du Coq d'Or, il y a trois pins on ne sait combien de fois centenaires. Quand une brise les caresse, c'est une source qui chante, enfouie dans les galets. 
Quand le vent est un peu fort, c'est une musique noble et solennelle. Quand il souffle en tempête, c'est un déferlement de vagues ou un roulement de tambours au rythme grave et triste. 
Le moine Fangzhou a construit sous ces pins un ermitage qu'il a nommé le Pavillon du Vent dans les Pins. Passant un jour par là, je m'y arrêtai et fus si heureux que je ne pus songer
au retour. C'est un lieu de retraite qui n'est pas très éloigné des hommes, où il ne fait pas trop chaud en été, ni trop froid en hiver. Mes yeux se réjouissaient de contempler les pins et
mes oreilles de les entendre. Assis dans une pose nonchalante, je faisais le plus beau des voyages, vagabondant dans d'infinis lointains. Aucune intrusion du dehors ne perturbait
mon cœur. Je pouvais savourer ma joie et oublier le temps, sans avoir besoin de me laver dans la Ying pour me sentir pur, ni de monter sur le Shouyang pour me sentir élevé.
Mais, étant ce que je suis, enraciné dans le monde vulgaire, instable et inconstant, je ne pus parvenir, même en ce lieu, à l'extinction de mes passions. Aussi pris-je congé du moine,
et mon séjour au Pavillon du Vent dans les Pins ne se prolongera que dans ces notes, tracées le neuvième jour de la septième lune de l'an quinze de l'ère Zhizheng (1355).”


Liu Ji, “Le Pavillon du Vent dans les Pins” (dans “Les Formes du Vent, paysages chinois en prose”)