23 sept. 2009

23/09/09

“Junichirô Tanizaki disait qu'il regrettait le pinceau moins sonore que le stylo ; 
 les objets de métal ternis ; 
 le cristal opaque et le jade trouble ; 
 les traînées de suie sur les briques ; 
 l'effritement des peintures sur le bois ; 
 la trace de l'intempérie ; 
 la branche brisée, la ride, l'ourlet défait, le sein lourd ; 
 le déchet d'un oiseau sur la balustrade ; 
 la lueur insuffisante et silencieuse d'une bougie pour dîner ou celle d'une lanterne suspendue au-dessus de la porte de bois ; 
 la pensée plus libre ou hébétée ou vacillante qui s'élève dans la tête humaine quand elle s'enfouit dans l'ombre, l'âme se portant davantage à la frontière des dents ; 
 la voix plus basse et hésitante qui accompagne la braise de la cigarette sur laquelle se posent les yeux ; 
 le goût plus persistant de ce qui est mangé et l'impression moins obsédante de la forme et de la couleur des mets au fur et à mesure qu'on vieillit — la cuisine se reliant 
 progressivement à l'ombre du corps qu'elle rejoint.”


Pascal Quignard, "Les Ombres Errantes"