29 déc. 2015



"Un de ces jours j'écrirai quelque chose sur Londres pour dire comment la ville prend le relais de votre vie personnelle et la continue sans le moindre effort".

Virginia Woolf, "Journal, 26 mai 1926"

16 déc. 2015



"Oui cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d’une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, 
où les gens se croisent presque sans se voir, où la vie de l’immeuble se répercute, lointaine et régulière."

Georges Perec / La vie mode d’emploi

2 déc. 2015


"Tout recommence jamais, sinon par le début du moins par n'importe quel 
point de la ligne de fuite où je me tiens avec mes nuages depuis la haute 
enfance et lexique, nubilarium, hangar pour protéger la moisson contre la 
pluie, retour à la case départ, Malherbe Pound William Carlos Williams, 
l'homme à la brouette de Paterson le bien nommé, tu ouvres une page au 
hasard et tu tombes sur
son ventre est
un nuage
vespéral
et tu n'as plus qu'à lui tirer un grand
coup de chapeau et à mettre le bon rythme dans les embruns roses du Niagara
et à te dire qu'à cinquante ans de distance tu n'es pas si loin."


Bernard Chambaz "Été", (séquence 141)

25 nov. 2015



« Très bien ici — le port — la rivière — 
Petite ville — 
Toujours lentement le même temps.  »

Danielle Collobert (carnet)
(par Françoise Morvan Danielle Collobert | Françoise Morvan)

9 nov. 2015


La nuit le ciel, corps
le silence en bord de pierre
qui fait un établi tel
qu'ils dorment mes deux
amis, sous la tente.

La nuit le ciel, sort
je sors, je marche par terre
où interroger le bel
enroulement de
minuit, sur les pentes.

La nuit le ciel, tors
ce corps d'ombre assis : je n'erre
plus, je vais tout droit vers quel
Indien venu, nœud
devant lui les sentes.


Christophe Lamiot Enos "Nuit à Yosemite" in "Albany, des pommes et des oranges, Californie II."
éd. Flammarion 2006.

31 oct. 2015


"En TGV, à la tombée du soir, d'un côté, une lumière encore présente, un ciel laiteux, cuivré à la ligne d'horizon. De l'autre côté de l'allée, le plomb de la nuit qui monte des arbres, comme les tableaux de Magritte le montrent très bien, la nuit ne tombe pas, elle s'élève de la terre. De ce côté-là, une lune pleine et blanche. Comme si la course du train séparait le jour de la nuit."

Jane Sautière, "Stations (entre les lignes)"
éd. verticales 2015

14 oct. 2015


"Maintenant je regarde la vallée
Par la fenêtre d'un restau qu'ont installé les Indiens
navajos
En surplomb de tant d'espace rouge et de ciel.
Quelques notes prises tout à l'heure
En allant d'un endroit l'autre. Le parcours qu'on peut faire
A été réduit, on ne va plus
Jusqu'à cet endroit d'une rivière
Avec un arbre seul, une sorte de pompe à eau
Un endroit comme un sourire maintenant caché
Dans tout ce rouge douloureusement debout."


James Sacré, "America Solitudes"
André Dimanche Editeur 2010

5 oct. 2015


"(...) Quelqu'un t'appelle dans la cuisine
pour le partage

de la faim & l'encre d'aube des journaux, tu sens
le savon en solde
dit-il & rires & manger, l'espoir entier est inventé bien sûr

mais on mesure mieux
comme ça le pouls apaisé indispensable

à la solidité de la maison
sous toutes les lampes allumées de la respiration
où quel consolateur laisse entrer

2 par 2
ok nous les finalement fragiles (...)"



Stéphane Bouquet "Les amours suivants" 
Champ Vallon 2013

18 sept. 2015


"jour 5 : vendredi décontrac, on a tous
beaucoup bossé
même si les jeunes diraient plutôt

on a tous beaucoup taffé, je pense à
s'entre trouver ce week-end je pense à

quelque chose d'aussi battant - fragile
qu'une lamelle / coupe dans un coeur d'oiseau"


Stéphane Bouquet, "Les amours suivants"
Champ Vallon 2013

11 sept. 2015


"6:02 jour baie / manteau épaule éblouissante avec quelque bleu / bâtiment paquebot en place là-bas fond de cadre 23 mai 2012 / quelqu'un dit elle dort ou quoi / on voit des pigeons / solitude noire en longs tuyaux sur toit comme mélancolie urbaine couchée / quelqu'un demande elle va entrer à l'écrirlir / absence de chat roux / aucune mésange / quelq'un dit quel drôle de lieu / on n'entend pas quelqu'un descendre l'escalier / quelqu'un dit il y a des bruits métalliques dans un couloir / quelqu'un dit elle n'a pas de réseau / quelqu'un dit si / fumée grise en partance au-dessus d'un immeuble blanc plâtre / on aperçoit le dessus de marronniers / quelques terrasses en feuillages derrière sortes de canisses / pas de tasse rouge à points blancs ni de thé vert / quelqu'un dit écrire oui lire non car peu d'accès au webmonde / quelqu'un dit sauver sa peau jusqu'à to day / baleine échouée en rose gum là-bas /"

Maryse Hache, baleine paysage (143)
éd. Publie.net, 2015

1 sept. 2015

"... or le corps et la tête ne cessent de lier, relier ce qui est à tout ce qui a été, pourvu qu'on veuille bien suivre cette traînée rouge qui fuse du présent. Un fait n'est jamais singulier : s'il touche c'est qu'il est épais." 
Antoine Emaz, "Lichen encore"

14 août 2015


"Et puis inversement un gris allégé par du souffre et des oxydes, un gris vivant et mobile dans lequel les structures des nuages composaient et décomposaient des mondes, drame sans furie agité dans les hauteurs par d'invisibles et souples machines, gris dilué d'embruns et de lueurs portés par la haute mer, la terre cette fois-là impuissante à contribuer au spectacle par un reflet d'elle-même — sinon une sorte d'élongation rousse et tremblante, terre repliée et solide comme une plaque, spectatrice émue et fraîche, préoccupée de ses abris et pourtant offerte."

Jean-Christophe Bailly, "Description d'Olonne" (ciels)

3 août 2015

(...)

Je prépare des poèmes culinaires, des ballades reposantes, des sculptures de pâtisserie, des accumulations de phonèmes, des étagères de livres et de bocaux.

Assis comme un nuage stagnant sous le soleil au centre du jardin, je dilate mes molécules sans me soucier du nombre d'Avogadro.

Je vis la quotidienneté en continu. Je suis debout, tenant dans mes mains levées l'écheveau du rêve et les fils du réel.

Je dévide le codex des archives, brouillons de projets, lettres entassées dans des cartons, relevés de comptes, cahiers raturés, cartes postales, photos floues.


Avions et oiseaux tracent des lignes  dans le ciel ; je déchiffre sur la terre le grimoire laissé par les ombres de leurs trajectoires.

Je vois là-haut le sang qui pulse dans les veines et les artères des pigeons, des anges vagabonds et des hommes voyageurs.

Je capte les pensées fugitives, la prose bop spontanée, le cut-up des langues, sans hiérarchie, ni sélection. Rien que la vie brute.

Tapisserie de rouleaux collés au fil du temps sur les murs des alcôves dans le monde du fleuve, couches successives d'ondes vibratoires.

Je soulève un coin de la tapisserie pour révéler l'évidence : le monde est poème est monde, le poème est monde est poème.

(...)


Lucien, Suel, "Devenir le poème" dans "Je suis debout"
(éd. La Table Ronde, 2014)

9 juil. 2015


"C'est avec retenue que j'évoque les oiseaux : je ne voudrais pas me tromper."

Corinne Le Lepvrier, "Pourquoi la vie est si belle?"

29 juin 2015


"Nous avions l'illusion de fendre cet espace inconnu à mesure que nous allions le parcourant, comme si, avant nous, il n'y eût eu autre chose qu'un vide imminent que notre présence peuplait d'un paysage humain, mais, une fois que  nous l'avions laissé derrière nous, dans cet état de somnolence hallucinée que nous dispensait la monotonie du paysage, nous constations que l'espace dont nous pensions être les fondateurs avait toujours été là et qu'il consentait seulement à se laisser traverser avec indifférence, sans rien garder de nos empreintes et dévorant même celles que nous y avions laissées exprès afin d'être reconnus de ceux qui viendraient après nous. Chaque fois que nous débarquions, nous étions comme un fourmillement fugitif sorti du néant, une fièvre éphémère qui miroitait quelques moments au bord de l'eau et après s'évanouissait."

Juan José Saer, "L'Ancêtre"

21 juin 2015



"A cette heure heureuse, personne ne put le voir normalement sauf les reptiles, on distinguait à travers sa peau transparente des paysages bouger, de la poussière volante, une mouche passant à travers son corps disparu et surtout, en haut à gauche, une masse battre très lentement, comme un serpent : un coeur."

Mathieu Brosseau, "Data Transport"

9 juin 2015


"Il suffirait de s'installer dans une ville,  n'importe laquelle, pourvu que son murmure couvre celui de l'esprit. Il suffirait d'attendre comme quelqu'un qui serait assis dans un immeuble en feu. Se laisser dévorer. On n'écrit jamais que sur des cendres."

Philippe Rahmy, "Béton armé"

1 juin 2015


/ 27 octobre 1935/
En peinture aussi la vérité est près de l'erreur.

Pierre Bonnard, "Observations sur la peinture"

22 mai 2015



"Si fort le désir
qu'il n'est pas facile d'attendre rien :
je me souviens
des jours où j'aurais voulu être heureux."

Paol Keineg, "Mauvaises Langues", extrait de 35.

11 mai 2015

"Des verbes, des verbes qui traversent le monde et qui passent devant et derrière nous, nous entourant comme dans un filet qui serait le chuintement ou la bande-son du sensible"

Jean-Christophe Bailly, "Le parti pris des animaux"

2 mai 2015



"La fenêtre, la théière, la porte, la fenêtre, la chaise, la théière, le contre-jour, la porte, la table, la théière, la chaise, la fenêtre, la chaise, la porte, le couloir, les murs, la table, le plafond, la fenêtre, les rideaux, le mur, le couloir, la théière, le contre-jour, la table, le meuble, la porte, le couloir, la fenêtre, le plafond, la théière,"

Christophe Tarkos, "Ma Langue"

22 avr. 2015

"... le temps dansait
à Téor, appuyé
sur la souche d'un jonc amer,
il dansait sur l'écume de la mer.

Et les gouttières et les ruisselets crachaient
la mer sur les mottes de terre
énivrées de fraîcheur,
et les pigeons énivrés de fraîcheur
dansaient dans les pigeonniers,

l'enfant, des brindilles allumées à la main,
l'enfant dansait avec le frais tison,
sur le dallage tiédi par l'eau
et la mer brillait dans ses yeux,

les paluds dansaient dans son pied,
et son pied respirait
dans le coeur des tarins égarés dans l'eau."


Pier Paolo Pasolini, "Dans le coeur d'un garçonnet", Suite frioulane (1944-49)

15 mars 2015

"Il nous faut arracher la joie aux jours qui filent"

Vladimir Maiakovski

4 mars 2015


"Du ciel, tombent des filaments étincelants, blancs à s'en abîmer les yeux. Je mets mes lunettes de soleil. Ils sont si nombreux qu'on dirait une part du ciel, ils ne tombent pas, ils dérivent. Je me souviens des filandres de mon enfance, que ma mère appelait les fils de la vierge, ces fils immaculés et longs qui volaient dans les beaux jours d'automne, transportant de minuscules araignées migrantes. Les voyageuses comptaient sur les courants d'air pour les emporter un peu plus loin, avant d'abandonner les fils derrières elles, emmêlés aux haies, aux herbes, aux fleurs, aux broussailles, mais elles n'allaient jamais jusqu'en ville. Est-ce moi, en descendant, qui les ai déplacées jusque-là, est-ce nous, habitants des amonts, qui les emmenons dans nos sillages quand nous descendons nos cours, quand nous rejoignons les plats. Je m'imagine arriver ici suivie d'une traîne collante et brillante, échevelée par le vent de la vitesse automobile, j'essaie de me représenter toutes ces queues de comètes arachnéennes accrochées à nos petites Panda, dispersées dans l'air au moindre coup de frein. Mais sérieusement, d'où viennent tous ces fils d'araignée. Ce n'est même pas l'automne."

Emmanuelle Pagano, "Ligne & Fils, Trilogie des rives I"

24 févr. 2015


 "Tu attendais le temps. Quel temps ?
 Le temps est là
 Le temps est là de très bonne heure
 Plus inconnu
 Plus sauvage qu'un caillou blanc "

Henry Bauchau, "Heureux les déliants"

16 févr. 2015



"vous m'avez
dit une fois:

“Si seulement
je pouvais m'alléger

de certaines obligations,
alors, le temps ouvrirait

une clairière devant moi,
une minuscule clairière

hérissée de montagnes
minuscules, faites de

craie baignée dans 
un nuage d'encre,

et les parois que je 
ne ferais que deviner

par frôlements, en me
blessant, finiraient par

me faire admettre
l'évidence de la

rencontre.” Si,
vous me l'avez dit.

Il vous a suffi d'un
seul regard pour

dire ce que je
mets dix-sept vers

pour faire advenir,
et encore

maladroitement,
pour en faire

advenir
le sens."



Matthieu Gosztola "Lettres-poèmes"

5 févr. 2015


"Les jalons dansent, le nord danse. La pensée n'a nulle chance de rien appréhender aussi longtemps qu'elle ne s'est pas mise en posture de danse."

Jean Dubuffet 
"Personne n'est à l'intérieur de rien", l'Atelier Contemporain

27 janv. 2015

« Celui qui ne dit rien
épluche les pommes de terre.
Il en éplucherait
jusqu'au soir et jusqu'à demain
si le tas ne diminuait pas.  »


Fernand Deligny "Essi & Copeaux"

19 janv. 2015




"La mer ne laisse aucune trace : elle agite le temps sans donner de réponse. Cessez de m'écrire, crie quelqu'un."

Dorothée Volut, "A la surface" (voix 12)

5 janv. 2015


"À moi les langues de feu qui embrasent"
Madge Gill 
(exposition de la collection Bruno Decharme, La Maison Rouge, Paris)