31 déc. 2019

Les deux petites filles marchent au soleil






































les deux petites filles marchent au soleil
l'une coiffée d'un large chapeau de paille
qui lui mange la moitié du visage
l'autre d'un bob clair
elles portant des bâtons
de quelle manière elles disparaissent
devenant introuvables
par le feu
par la mort de l'amour
par fonte
(elles fondent)
les arbres poussent tout autour
et les épines denses
(les tiges grotesques les feuilles multipliées)
quelqu'un dort peut-être
vous en avez mis du temps pour venir

Sereine Berlottier "Habiter - traces & trajets"
(avec des peintures de Jeremy Liron)
éd. Les Inaperçus, 2019.

10 déc. 2019

Plus aucune certitude
























En avant

Plus aucune certitude
qui ne se brise.

Étrangères
se croisent les épées de pluie.
Quelque chose
depuis d'infinies distances
vers d'autres infinies distances
se dirige.

En avant
un dernier pari
me pousse.

Fabrizia Ramondino, traduite par Emanuela Schiano di Pepe
"Retours", éd. L'esquif/poésie chez Publie.net.

22 oct. 2019

À allure régulière, tu franchis le bayou du Chien
























À allure régulière, tu franchis le bayou du Chien, le lac Chien le lac Billot, le bayou des Amoureux, le bayou Négresse, la Bay Castagnier, la Bay de l'Ourse, le Grand Bayou, le lac Fidelite, la Raccourci Bay, le lac Barre, la Terre Bonne Bay, le bayou Netouche Pas, la Bay Touch Me Not, la Timbalier Bay, la Bay Couteau, le bayou Sauveur, le bayou Little Caillou, le lac Decade, les bayous Black, Blue et Tigre, le lac Long, la Bay Courante, le Pass des Ilettes, le bayou Chevreau, le Grand Bayou Fort Blanc, la Bay Plate, le lac Penchant, le bayou St-Denis...
Ce sont des noms, des lieux que tu donnes sur tous les tons possibles et à toutes les hauteurs. Des flux imprévus. Tu les creuses, tu les ronges. Ça y est, tu es dedans.

Oui, tu es comme le ragondin, ces terres, "tu les creuses, tu les ronges". Et moi avec, et la mémoire des humains aussi.

Matthieu Duperrex "Voyages en sol incertain — enquête dans les deltas du Rhône et du Mississippi",
(avec des encres de Frédéric Malenfer) Wildproject éd. 2019.

24 juin 2019

Il a été aperçu traversant de nombreux détroits autour du monde



























Il a été aperçu traversant de nombreux détroits autour du monde

Il a été aperçu au large de Banks dde Bass de Cook de Dease de Fram de Kii de Peel de Ross d"Anian de Bali de Barrow de Belcher de Belle-Isle de Bungo de Béring de Blackett du Bosphore de Cabot de Cans de Chatham de Clarence de Cockburn de Colville de Corée de Dampier de Davis de Dixon de Drake d''Evans de Fisher de Foveaux de Formose de Franklin de Gaspar de Gerlache de Floride d'Hainan d'Hassel d'Hauge d'Hjörung d'Homfray d'Hôyo d'Hudson d'Hécate d'Iougor de Johor de Kara de Kalmar de Kanmon de Kitan de kassos de Kertch de Kwangting des Laptev de Lembeh de Litke de Lombok de Luçon de Melville de Menai de Messine de Muhu de Nansen de nares de Nelson de Palk de Parry de Peary de Pénang de Rassay de Quiongzhou de Rae de Sicile de Wilkins de Tablas de Tanon de Tiran de Sandro de Sumba de Smith d'Ormuz d'Osumi de Torrès de Vries de Vitiaz de Wilkins d'Aggattu d'Akashi de Baltiisk de Balalbac de Berhala de Bonifacio de Bougainville de Bransfield de Byam Martin de Chelikhov de Cozumei de Diligent de Dofuchi de Femarn Belt du Géographe de George VI de Georgia de Géorgie d'Hinlopen (...)

Anne-James Chaton, L'Affaire La Pérouse
éditions POL, 2019

23 mai 2019

Quand j'ai eu la sensation que ma nuque posée sur le dossier de la baignoire flottait


Quand j'ai eu la sensation que ma nuque posée sur le dossier de la baignoire flottait sur un polochon de coton chaud, que mon corps suivait son balancement comme la traîne d'un cerf-violant stationnaire, j'ai ouvert les yeux et j'ai vu tout ce noir, tous ces trous lumineux. Puis la boule d'or et d'argent dont la surface était plongée dans l'ombre pour un tiers. La lune. La lune gibbeuse. Grêlée de petite vérole, menteuse comme un arracheur de dents, inondée de soleil, incongrue. Énorme alors qu'elle n'était pas pleine et que la sommité d'un pin aurait suffit à la camoufler. Haute, brillante, un phare dans une mer silencieuse, clapotante. Ma barque était pleine, elle suivait le courant.

Céline Minard
"Le Grand Jeu", 2016, éd. Rivages.

26 avr. 2019

Mais il y avait une fille, avec une guirlande d'algues autour des épaules
























Mais il y avait une fille, avec une guirlande d'algues autour des épaules, qui avait l'air d'en savoir long sur Ecoldar et qui disait : "Il faut tout prendre. La pratique, ça ne vas pas sans la théorie." Elle nous conseillait d'être critique, de discuter, mais de ne pas rejeter. Elle disait, l'art ça ne peut pas être bête, ça ne peut pas être simplement faire. Klee, Malevitch, Kandinsky, si c'est fort, c'est parce qu'ils sont capables de décomposer et de recomposer, c'st parce qu'ils sentaient la complexité des choses. Pour pouvoir transformer ce qu'on éprouve en problèmes de couleurs, de surfaces, de lignes, de dedans et de dehors, il faut avoir prise sur son inquiétude. "Vous ne croyez quand même pas qu'ils ont passé leur vie à faire tous ces tableaux juste pour le plaisir ?"

Christine Lapostolle, "Ecoldar”, éditions MF 2018

28 mars 2019

Au début, presque tout le vocabulaire paysager s'efforçait de faire du monde entier votre maison




























































Au début, presque tout le vocabulaire paysage s'efforçait de faire du moned entier votre maison. Le Nôtre en particulier voyait dans sa marche un corridor, et donc entrait dans une clairière appelée "Le Hall du festival" ou "Le théâtre d'eau" ou "Le couloir aux miroirs", force fut d'admettre que seul nommer pouvait produire le manège de ces vastes étendues,
des anneaux du hasard
gardés dans des atomes
gardés dans des jarres aux rebords des fenêtres
                                                                        qui avaient aussi des noms commençant par
Mon autre maison est plus grande.


Cole Swensen, Le nôtre
(trad. Maïtreyi et Nicolas Pesquès)
Éd. Corti, coll. « Série américaine »

8 mars 2019

En descendant vers Sant'Alessio, je crie

























En descendant vers Sant'Alessio, je crie, comme doit crier le poisson qu'on rejette à l'eau après lui avoir accroché le bec avec un hameçon, le lièvre qu'on libère après l'avoir pris au piège ou encore la guêpe, comme celle de Scopello, qui était rentrée dans ma chambre et que j'ai dû aider à repartir par la fenêtre qu'elle ne trouvait pas. Une partie de notre instinct, de notre énergie vitale consiste, sans que nous nous en rendions compte, à échapper aux pièges. Un vieux reste de Néandertal, une trace de notre vie primitive, cet instinct-là, dont nous avons plus que jamais besoin tant sont raffinés les pièges d'aujourd'hui et subtiles leurs séductions.
Hourrah, criais-je sur la route ! Hourrah et viva la libertà ! Et les cris durent jusqu'au moment où je vois la mer.

Mais il y a la mer
Et les hirondelles et les nuages
Oui il y a la mer
Comment peux-tu être dans l'angoisse ?*

Le feu de la révolte s'apaise au contact de l'eau ! Je prends la direction d'Agrigente. Le piège derrière moi se referme sur du vide.


Édith de la Héronnière
"Du volcan au chaos. Journal sicilien"(2002)
éd. Nous 2017
(*Folke Wirén, Paysage d'une vie, Actes Sud, 1982.)