10 janv. 2024

J'ai aussi l'impression de trébucher souvent



 

J'ai aussi l'impression de trébucher souvent, que mon corps est bousculé par les autres bousculé par moi. Je tourne la tête trop vite, mon bras ne voulait pas aller si loin, mon pied est en déséquilibre dans le brouhaha des corps bien en place qui m'entourent. Il faut tellement d'acceptation de soi, des autres et de l'espace pour que ça marche un corps, que ça ne subisse pas le réel mais que les gestes l'habitent paisiblement, avec la bonne tension. Les animaux sauvages, eux, ne connaissent pas la maladresse. Le léopard ne se pose pas la question de sa démarche, le vol de l'aigle n'est jamais ridicule, les sauts du chevreuil sont toujours coordonnés. Leur corps n'échappe jamais à leur contrôle alors qu'il me semble parfois qu'il faudrait toute une vie pour apprendre à ne pas rougir quand je cours dans la rue et à marcher tranquillement sur le chemin vers la mer.

Victor Pouchet, Autoportrait en chevreuil, éd. finitude, 2020