6 déc. 2014


"IL, EST UN BEAU MOT QUI VEUT DIRE RENDEZ-VOUS. Et l'on s'amuse à lui trouver quotidiennement un corps. Il, viendra. Je colle sur mon âme un morceau de gaze coupé par ma grand-mère. J'écris fortement le mot buée, puis retourne m'asseoir devant la porte en espérant qu'elle s'ouvre ou se déchire en deux. Il pleut. Dans un coin de la cuisine reste un verre d'eau liquide : un passage pour l'émotion. Chaque mot convie à un engagement — la rose aussi. Il y eut ce trou que Vous aviez creusé un dimanche, l'enveloppe charnelle des heures ramenées au centre. Aux fenêtres de l'école on peut voir désormais les dessins s'accrocher à l'envers. La beauté de l'amour, sans la langue qui va avec."

Dorothée VOLUT, "à la surface" 

(VOIX 12, la Cavalerie, le 21 avril 2006)

1 déc. 2014


"J'écris le mot paysage
je regarde le mot paysage
j'écris le mot maintenant
j'ai trouvé le nom de ce que je vois
je vois un paysage maintenant"

Michaël Battala, "Paysages maintenant"

25 nov. 2014

"Jonas bas à l'horizon et je suis un enfant, je me baisse
pour ramasser quelque chose, une fraise des bois, un baiser
peut-être sur ton front (petite mère en miettes, herbe rare ou rose
regard entre les pierres du songe, et de larmes, de paupières
lourdes, violettes à l'horizon, plus aucune trace...), et vois,
semblable à une lampe (de jour en jour plus faible) ou très jeune
fille en robe rouge (feuilles et sourires), la course folle,
belle course de mon coeur à travers les buissons, les années..."

Laurent Cennamo, "Jonas" dans "Les Rideaux Orange"

18 nov. 2014


"Chaque tournant du chemin pousse une porte précautionneuse, et derrière vous une autre se referme. Paysage traversé comme une maison compliquée, une chambre après une chambre — toutes les portes en chicane, et jamais deux barrières en vis à vis."

J.Gracq, "La Presqu'île"

29 oct. 2014

"Il n'y a jamais eu d'éclairage précis pour permettre de voir contre quoi on se heurte exactement."

Danielle Collobert, "Dire I"

21 oct. 2014



"Il faudrait sortir le regard de soi, le poser
parmi les choses.
Il nous verrait passer.
On pourrait se dire : "je me vis m'éloigner".

Jérémy Liron, "La mer en contrebas, tape contre la digue"

9 oct. 2014

"Celui qui n'a jamais rien dit
 n'entend que le bruit
 du langage
 et ne s'attend pas
 à tout ce qui s'ensuit"

Fernand Deligny, "Copeaux"

30 sept. 2014


"L'aspect le plus positif d'un voyage, c'est que face au décor d'un paysage nouveau il est difficile de se laisser engloutir par le passé. Il y a tant de questions à moitié idiotes dont on n'a pas le temps de chercher la moindre réponse. Où donc commence ce fleuve que je suis en train de traverser ? Qu'y a-t-il au bout de ce magnifique canyon ? Quand cette église a-t-elle été construite ? Comment les gens d'ici gagnent-ils leur vie ? Ce chien qui traverse un champ en friche porte bien un nom ? Pourquoi la serveuse de ce café semble-t-elle si heureuse ?"

Jim Harrison, "Retour en terre"

18 sept. 2014

"Il n'y a pas tellement de vérités dont le coeur soit assuré. Et je savais bien l'évidence de celle-ci, certain soir où l'ombre commençait à noyer les vignes et les oliviers de la campagne de Florence d'une grande tristesse muette. Mais la tristesse dans ce pays n'est jamais qu'un commentaire de la beauté. Et dans le train qui filait à travers le soir, je sentais quelque chose se dénouer en moi. Puis-je douter aujourd'hui qu'avec le visage de la tristesse, cela s'appelait cependant du bonheur ?"

Albert Camus, "Le Désert" dans "Noces"

3 sept. 2014


"il y avait la beauté des minutes qui sont les bijoux au rabais du bazar de la cruauté le soleil des minutes et leur joli museau de loup que la faim fait sortir du bois la croix-rouge des minutes qui sont les murènes en marche vers les viviers et les saisons et les fragilités immenses de la mer qui est un oiseau fou cloué feu sur la porte des terres cochères"


Aimé Césaire, "Les armes miraculeuses"

1 août 2014


Une Ford couverte de poussière, surchargée de malles, arrêtée sur le bord de la route, « il faudra prendre de l'essence au prochain B. P. », — sur les montagnes, les campanules des  lièvres, sur les plateaux, les primevères du soir.

Michel Butor, 
"Mobile, étude pour une représentation des Etats-Unis"

18 juil. 2014


se tenir
entre  reconnaître
à la source la radicale étrangeté
de l'autre tous ces autres sans qui
nos visages forêt sans lumière
impossibles à voir

oser l'ombre debout de l'ignorance

se tenir
entre  laisser
aux informes le cirque mensonger
de l'abrasement universel et lui
préférer les appartenances  plurielles
et jubilatoires

guetter le sens à la racine du geste

se tenir
entre   donner
aux enfants du ciel des bras
armés de la même innocence et quand
la nuit viendra danser sur nos épissures
prendre le risque de l'espérance.



Anne Bihan, "Ton ventre est l'océan"

29 juin 2014



"et ce rose du manteau de l'ange
 et ce rose hantaï
 et ce rose matisse
 et ce rose twombly"

Maryse Hache, "j'éprouve le temps"
http://semenoir.typepad.fr/semenoir/2011/06/jéprouve-le-temps.html

24 juin 2014

"Nous frapperons l'air neuf de nos têtes cuirassées
nous frapperons le soleil de nos paumes grandes ouvertes
nous frapperons le sol du pied nu de nos voix"

Aimé Césaire, "Perdition" (extrait)

6 juin 2014

Puis, dans l'ombre qui
épaissit : — (avec lui, quelques
femmes avec gosses sur les genoux,
Après-midi-soleil, brise, bourdonnement
d'insectes, grondement de voitures sur
la grand-route) — Très loin dans
le bleu intense un avion de ligne
en direction de Richmond —
puis le diamant jaune du
panneau Stop, à l'arrière,
l'ombre d'un piquet de bois
qui le coupe en deux — Un
bosquet d'arbustes bougeant
légèrement & puis le maïs du Copain
Tom, maïs géant, frissonnant, bavard,
hanté, gesticulant, des chiens le traversent
en courant, les herbes pullulent,
les arbres débordent au-delà —
Puis ses perches délavées,
cage à poule, portes,
gonds, fils de fer emmêlés —
herbes — fleurs sauvages rouges —
un grand pin majestueux
avec les boules noires de
ses cônes se détachant sur
le bleu vif — sous lui
un saule pleureur excité
ondulant comme le chant
d'un Zéphyr — 2 voitures
sont garées dessous, une Cadillac
bleue "queue-de-poisson" — celle de Tom —
une grande fleur rouge raide —
des gens en visite, bavardant —
des enfants — Lilian en
short (grande, grosse) fourre
un carton dans le tonneau
rouillé — La base du
pin délavée — La cabane de
jardin du Copain Tom, juste un coup d'œil
à l'intérieur — râteau appuyé
sur la paroi — Le mur de la forêt au-delà.

Ils sont assis, de l'or
dans les cheveux —

Jack Kerouac, "Livre des esquisses"
(trad. Lucien Suel)

26 mai 2014


"Suivre comme du doigt la ligne de brume nette
et indécise, tranchante cependant, résiduelle
(la mieux marquer, comblant les vides), qui, si
peu que ce soit, se meut et, sans la blesser,
mord à mi-flanc la montagne.

Lentement s'effiloche, en route vers sa disparition."

"Brumes", Pierre Chappuis
La Rivière Echappée, coll. Babel Heureuse

18 mai 2014


"Après avoir loué une maison près de la porte de Dongzhi, j'ai aménagé ma bibliothèque dans une petite pièce à droite de la principale et, au-dessus de la porte, j'ai écrit ce nom, emprunté à Xu Wei : Cellule de l'Onde de la Littérature.
Quelqu'un m'a dit : "Votre région natale n'est qu'un vaste paysage d'eau. Mais ici, à la capitale, le bruit et la poussière montent jusqu'au ciel et obscurcissent l'éclat du soleil. Il n'y a pas une goutte d'eau, pas plus dans cette pièce qu'ailleurs ; comment s'imaginer y voir une onde ?"
Ermite de ce lieu, je répondis en souriant : "Il ne s'agit pas de la réalité de l'eau. Mais rien, sous le ciel, n'est plus proche de la littérature que l'eau. Elle part soudain tout droit, ou soudain change de cours. Elle couvre et découvre le ciel ; en un instant, une sombre nuée s'étend à l'infini. Ténue, c'est un voile de soie ; en tourbillon, c'est l'œil d'un tigre ; en cascade, c'est un rayon céleste ; dressée, c'est un mont de jade ; déployée, c'est un dragon ; éparpillée, c'est la brume ; inspirée, c'est le vent ; irritée, c'est le tonnerre. Rapide ou lente, nonchalante ou brusque, elle jaillit sous dix mille formes. Voilà pourquoi ce qu'il  y a de plus prodigieux, de plus changeant sous le ciel, c'est l'eau. Né dans une région aquatique, j'ai été habitué à l'eau dès l'enfance, je me crois toujours près de l'eau. J'ai traversé le Dongting, passé le Huaihai, franchi le Taihu ; mon bateau est allée au Yantan ; j'ai exploré les merveilles du Wuxie, parcouru les plus beaux sites des fleuves et des lacs, épuisé toutes leurs métamorphoses. Et désormais, je pense qu'il n'est pas, sous le ciel, d'eau qui ne soit littérature."

Yuan Hongdao,
(1568-1610)
dans "Paysages chinois en prose"

8 mai 2014

"Ecrire à partir de là où le corps  est en extrême 
proximité de soi quand on n'écrit pas.

Corps qui enfle et désenfle selon séquences de
travail, respiration qui traverse ventre cou dos puis se
jette dehors

corps qui allonge ses terminaisons jusqu'au noir qu'il 
touche

pas le mettre à regarder
ni à écouter
le renoncer

le déplacer sous atmosphère de vide jusqu'aux épaisseurs
et profondeurs de frondaisons/extractions d'un
statut réel qu'on conduira en force

avec délicatesse

vers les-mots-qui font présence qui font sens et qui
font sons annonçant ne pas connaître plutôt que 
connaître."


Dominique Dussidour "petits récits d'écrire et de penser"
(éd. Publie Papier)

14 avr. 2014


la vie joue dans le jardin
avec l'être que je ne fus jamais

et je suis là

danse pensée
sur la corde de mon sourire
(...)

"Celle des yeux ouverts", Alejandra Pizarnik
Aujourd'hui, je me suis souvent dit : forêt. D'elle-même, la vérité marche à travers bois."

Werner Herzog, "Sur le chemin des glaces"

24 mars 2014

Hisao demanda : "Qu'est-ce qu'ils ont 
répondu tout à l'heure, ceux qui revenaient 
du dehors. C'est le jour ou c'est la nuit ?" 
Takeshi essaya de s'en souvenir. 
"Je crois qu'ils n'ont rien dit."

Hubert Mingarelli "L'homme qui avait soif"

17 mars 2014


"un chien-loup, noir de jais, me suivit longuement de son regard jaune et fixe. Quand j'entendis le bruissement de quelques feuilles qui tombaient derrière moi, d'emblée je me suis dit, ça, c'est le chien, bien qu'il fût attaché à une chaîne. Tout au long de la journée, la solitude la plus parfaite. Un vent clair fait chuchoter la cime des arbres. Quelle saison ! Elle n'a plus rien de terrestre. De grands sauriens volants expulsent,  sans bruits, des traînées de condensation au-dessus de moi, plein ouest. Ils volent vers Paris, et mes pensées s'envolent avec eux. Il y a tant de chiens. En voiture, cela nous échappe, comme les odeurs de foin, et les arbres gémissants. Les troncs d'arbres écorcés suintent. A nouveau, longuement, mon ombre se tapit devant moi. En fuite, une nuit, Bruno a pénétré dans une station de télésièges abandonnée. Ce devait être en novembre. Il branche l'électricité en abaissant la manette. Toute la nuit, le télésiège marche, sans raison, et tout le circuit est illuminé. Au matin, la police arrête Bruno. C'est comme ça que devrait finir l'histoire."

Werner Herzog, "Sur le chemin des glaces"

4 mars 2014


Pour ma part, afin de garder, pour pouvoir aimer Balbec, l'idée que j'étais sur la pointe extrême de la terre, je m'efforçais de regarder plus loin, de ne voir que la mer, d'y chercher des effets décrits par Baudelaire et de ne laisser tomber mes regards sur notre table que les jours où y était servi quelque vaste poisson, monstre marin qui, au contraire des couteaux et des fourchettes, était contemporain des époques primitives où la vie commençait à affluer dans l'Océan, au temps des Cimmériens, et duquel le corps aux innombrables vertèbres, aux nerfs bleus et roses, avait été construit par la nature, mais selon un plan architectural, comme une polychrome cathédrale de la mer."



Marcel Proust
"A l'ombre des jeunes filles en fleur"

3 févr. 2014


"Ce qu'il prend pour motif n'a pas de nom : c'est un rapport instable du vert et du bleu, c'est l'extérieur, c'est l'air qui passe entre les choses, c'est l'instant qui sépare deux positions d'une petite vague. C'est ici, maintenant, un bord, sa vie."

Marianne Alphant "Monet, une vie dans le paysage"

21 janv. 2014


Nous ne sommes pas séparés de la terre
Par la construction d’un tombeau
Ni par un chant de pierres d’églises, ni par voie de contemplation
Mais perdus, tout entiers perdus dans le grand paysage
Avec ses arbres, ses champs et cette incompréhensible lumière
Sur le bord de la route où l’ombre est rare et l’amour incertain
Nous ne sommes pas séparés de la vie
Au milieu des buissons et des choses communes.

HENRY BAUCHAU : « Nous ne sommes pas séparés »

13 janv. 2014


“Et puis (alors que je traversais Russel Square hier soir) voilà que je vois des montagnes dans le ciel, de grands nuages, et la même lune qui s’est levée sur la Perse. J’éprouve la notion vague et stupéfiante de quelque chose qui est là, qui est “ça”. Ce n’est pas exactement la beauté que je veux dire. C’est simplement que la chose en soi se suffit. Qu’elle est satisfaisante, achevée. Il y a aussi cette étrange impression d’être là, de marcher sur cette terre, et l’infinie étrangeté de la condition humaine, moi trottant le long de Russel Square avec la lune là-haut, et ces montagnes de nuages. Qui suis-je, que suis-je ? et ainsi de suite. Ces questions flottent sans cesse autour de moi et puis je me cogne à quelque fait précis, une lettre, une personne, et je les retrouve dans toute leur fraîcheur et leur nouveauté.”

Virginia Woolf, "Journal"

« Quelque fois rien. Une porte
qu'il suffit d'ouvrir ou de
fermer afin que le ciel soit
dedans ou dehors. »

Christian Viguié, "Le Carnet de la roue"

L'homme
       accoudé
   à la solitude  comme
à une barrière, recueillait dans
   la profondeur de son ouïe la
  naissance des voies nocturnes.
     Il entendait les distances,
       innombrablement peuplées,
     s'émouvoir peu à peu ; elles
        semblaient converger vers
          son cœur et s'y attacher ;
           chaque éveil le long du fil
          invisible s'y venait répercuter
            et en rythmait les battements.
                  Et des lointains du ciel,
                 de chaque astre, par le lait
               de la nuit voguait une anxiété
                voluptueuse vers son attente.



Jacques Rivière, "Introduction à une métaphysique du rêve"



            Songe donc
  
nous savoir
    dans la pluie dans les cendres dans le gué
    dans la crue

       nous savoir qui rêvâmes

  là 


Aimé Césaire, "Nous savoir..."