25 mai 2017


« De l’espoir était parti avec l’horizon. On vous retire d’abord le pied, l’usage du pied, la jambe, puis l’autre pieds, le genou. Ainsi du reste. L’insignifiance prend la place. L’insignifiance grandit. On va vers plus d’insignifiance.
Au bout, la vraie fin : le comble de l’insignifiance.
Marche ôtée, grimper ôté, descendre ôté et sauter et courir, j’étais constamment tenu de prendre garde.

Imaginer n’avait pas encore été ôté. Dans ma chambre j’évoquais des pieds immenses, avec des pas de géant, des jambes qui n’en finissaient pas, d’une agilité inconnue. Jambes confinées d’un côté, libérées d’un autre. Avec une nouvelle agilité celles-ci et une sureté de funambule. Qu’est-ce qu’elles avaient comme mouvements ! Et promptes à les exécuter. Et infatigables. De vraies machines, mais souples, actionnées à mes seules envies. J’avais seulement tendance à trop me répéter. Tous les jours je pouvais reprendre mon numéro de jambes démesurées, manœuvrant, tricotant dans l’espace, un espace abstrait. »


Henri Michaux, « Comme un ensablement »

15 mai 2017


« Tout le monde n’est pas géographe, n’est pas Julien Gracq ni Claude Simon. Tout le monde constate l’épaisseur des terres, des strates, des cultures, épaisseur venue de notre ignorance (comment cultiver, quels sont les noms, les gestes?). Tout le monde regarde les usines en ruine et les éoliennes. Et lorsque le paysage est nouveau (si cela arrive encore) des promesses sautent au visage. On pourrait aller là, là, là, maison dont la fenêtre donne sur un banc, une salle fraîche. On pourrait longer des rivières, désosser une voiture, plonger. Se rendre au cimetière, dans une cour d’école, voler le drap qui sèche, toutes choses qu’on ne fait jamais. Mieux : être le drap qui sèche, petit clac dans le vent, et sa pince à linge qui s’épuise. Se réincarner en bidon d’essence, en silo. Devenir pistache, émeraude, blé mur et s’émerveiller des autres couleurs.
Un merle m’engueule dans le jardin.
Fermant à demi le ciel, trois palmiers.
Devant, un figuier, poussé dans un mur.
Des orties. Des mouches très jeunes.
Où est-il, enfin, l’immuable, dans ce lieu de destination ? Dans l’épaisseur des troncs ? Le temps pris par le figuier pour nicher dans le mur ?

Ecrire sur ce qui vient. Voir ensuite. »



Anne Savelli, Décor Daguerre
(éditions de l’Attente, 2017)

3 mai 2017


« Le paysage ne m’intéresse plus
   Mais la danse du paysage
   La danse du paysage
   Danse-paysage
   Paritatitata
   Je tout-tourne"

Blaise Cendrars, "Ma Danse" in "Dix-neuf poèmes élastiques »