29 déc. 2009

29/12/09
"L’un d’eux écarte le ciel sale. Derrière se trouvent un
bar, un resto. Des huîtres. Du vin blanc. Une table au
bord de l’Atlantique.
La mer soupire à peine. Elle ne froisse pas la nappe.
Sait que tous se préparent. Vont déguster un peu
d’elle, ses fruits, ses jus salés, à leur manière, à petites
lampées, pour ne pas risquer d’avaler de travers.
Au loin, l’autre, l’esseulé coincé dans son trou, répète
une histoire de coque empalée sur des récifs dentelés
mais sa voix, très faible, ne porte plus jusqu’ici."


Jacques Josse, "Dormants"

20 déc. 2009

20/12/09

“Je n'écris pas pour dire que je ne dirai rien, je n'écris pas pour dire que je n'ai rien à dire. 
J'écris : j'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été un parmi eux, ombre
au milieu de leurs ombres, corps près de leurs corps ; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi
leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture : leur souvenir est mort à l'écriture ;
l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie. ”


Georges Perec, "W ou le souvenir d'enfance”.

8 déc. 2009

08/12/09
" Of visiters — the fairest —


  For occupation — This —


  The spreading wide my narrow Hands


  To gather Paradise — "


Emily Dickinson, poèmes (cahier 22, fragment n°657, éd. José Corti)

26 nov. 2009

26/11/09
" (...) quelques mots seulement encore, à seule fin de suggérer la texture interne de tout horizon, n'importe lequel, silencieux et de simple apparence, et ce qui est serti dans ces vies humaines, même à l'intérieur neutre de ces maisons de bois et autour d'elles : sur la terre lisse comme le cuir, et dans le sommeil des marécages, et la coulée de l'eau courante, à la pleine lumière et dans la profondeur des ombres, s'entassent et se dressent noyers d'Amériques, chênes rouges, peupliers, pins, genévriers, cèdres, châtaigniers, caroubiers, noyers noirs, saules des marais, pommiers sauvages, pruniers sauvages, houx, lauriers, baies savonneuses, pommes de mai, arbousiers, chèvrefeuilles, chèvrefeuilles des bois, verges d'or, toutes sortes de marguerites ou pâquerettes, nombreuses fougères, maïs, coton, sorgho, sarments de pastèques, melons, cacahouètes, patates indiennes, patates douces, patates irlandaises, trois sortes de fèves, champs de pois, okra, tomates, navets, fenouil, mauvaises herbes (...)".


James Agee, "Louons maintenant les grands hommes

14 nov. 2009

14/11/09




“J'entre et tout de suite ma langue fourche. Mes Débris de langue à moi.


L'échelle est dressée contre la façade. Premier nuage sur la lune.


Assez pour casser le fil. Je ne peux pas dire l'instant précis de l'échange.


J'ai très tôt compris le pouvoir de l'ignorance.”




Paol Keineg, “Là, et pas là

11 nov. 2009

11/11/09

“Petite idée qu'on risque en tout lieu, du côté des piétinements, 


le contact bleu ciel, à la garde de mots quand même pessimistes, 


haies orientées, herbe limpide, détails que tout ça à l'intérieur de la page, 


silence, répétition, bien au-dessus de mes forces.”




Paol Keineg, “Là, et pas là

3 nov. 2009

3/11/09



“sinon rien


buée sur les vitres


ils respirent


ils sont vivants”




Sereine Berlottier, “Ferroviaires

27 oct. 2009

27/10/09

“Un jour que je m'étais perdu dans le maquis des petits dieux du côté de Cournille, un chien 


négligé à tête de dieu m'arrêta. Ses yeux espiègles, ses jappements brefs me mirent en liesse. 


Bref, en lumière, je me fis l'effet d'un imbécile et décidai qu'à compter de ce jour j'irais me jeter 


à la mer par tous les ruisseaux.”




PAOL KEINEG, “A Cournille” 

19 oct. 2009

porte poussée

19/10/09

"(...) porte poussée, bonjour je voudrais, au revoir, le jour s'installe, tu vacilles, tu dis, c'est beau, quelle splendeur, mais au fond, c'est comme si tu n'y croyais plus, quelque chose en toi t'occupe, une sorte d'érosion, éboulements infimes, allô oui, je vais vous le passer, tu prends le récepteur, la voix parle, lointaine, métallique, une espèce de, comment te dire, comme si on te rongeait à l'intérieur mais très doucement, sans douleur, bonjour, comment ça va, tu cherches tes mots, là-bas, la voix s'anime et pourtant tu écoutes autre chose, cette usure délicate, curieusement audible, sifflement vague maintenant, chuintement, mais oui bien sûr, fumée sonore, évasive, tenace, à bientôt, tu raccroches regardant le soleil sur la fenêtre, le rideau qui frémit, tu prends un livre, tu lis les mots sans les comprendre, attentif à ce bruit de fleuve, une sorte de froissement, tantôt sombre, tantôt lumineux, visions instantanées, pieds nus dans l'eau, une main tient une autre main, lueurs, visages à contre-jour, un restaurant le soir, serviettes rouges, lampions, tu as jeté le livre sur la table, onze heure, déjà, l'écriture des arbres est illisible (...)”


Jacques Ancet, “ Le Silence des chiens
ed. Publie.net

12 oct. 2009

12/10/09

"Flot, requiers pour ta marche un galet au sol terne
Qu'à vernir en ta source au premier pas tu perdes.”


Francis Ponge, "Le Parti Pris des Choses"

6 oct. 2009

06/10/09

"A l'écran une bonne image est un visage qui n'introduit pas d'ombre.
S'il se trouvait qu'un écrivain plût en se montrant, c'est son corps qu'on rechercherait et non sa voix perdue, sa voix égarée et presque silencieuse sur la page.
Tout être qui se montre tourne le dos au royaume qui n'est pas visible."


Pascal Quignard, "Les Ombres errantes"


 

29 sept. 2009

29/09/09

CHAPITRE XVI
Liste de l'an 2001
"La surface des eaux qui croupissent depuis les premières migrations sur les villages palafittes dans les lacs étrusques gris.
Les mares dues à la pluie et sur le pourtour desquelles des minuscules grenouilles noires comme de l'ébène sautent soudain.
La grande vague blanche sur la grève de Carnac à dix heures.
La sordidité des ombres dans la boîte à ordures de Paris quand on soulève à la hâte le couvercle pour y glisser une boîte de conserve de thon vide.
La bave des escargots sur les feuilles ou sur la terre séchée entre les épis.
Les doigts poisseux de sucre et maculés de boue des petits enfants à Sens.
La manche de la veste en soie bleu foncé usée.


Le tas de poudre s'accroissant inexplicablement que le balai pousse devant lui en quelque lieu que ce soit dans ce monde."




Pascal Quignard, "Les Ombres Errantes"

23 sept. 2009

23/09/09

“Junichirô Tanizaki disait qu'il regrettait le pinceau moins sonore que le stylo ; 
 les objets de métal ternis ; 
 le cristal opaque et le jade trouble ; 
 les traînées de suie sur les briques ; 
 l'effritement des peintures sur le bois ; 
 la trace de l'intempérie ; 
 la branche brisée, la ride, l'ourlet défait, le sein lourd ; 
 le déchet d'un oiseau sur la balustrade ; 
 la lueur insuffisante et silencieuse d'une bougie pour dîner ou celle d'une lanterne suspendue au-dessus de la porte de bois ; 
 la pensée plus libre ou hébétée ou vacillante qui s'élève dans la tête humaine quand elle s'enfouit dans l'ombre, l'âme se portant davantage à la frontière des dents ; 
 la voix plus basse et hésitante qui accompagne la braise de la cigarette sur laquelle se posent les yeux ; 
 le goût plus persistant de ce qui est mangé et l'impression moins obsédante de la forme et de la couleur des mets au fur et à mesure qu'on vieillit — la cuisine se reliant 
 progressivement à l'ombre du corps qu'elle rejoint.”


Pascal Quignard, "Les Ombres Errantes"

15 sept. 2009

15/09/09

“La pluie, le vent, la rosée, le tonnerre sont d'origine céleste. On peut voir la pluie et la rosée, dont toute chose attend l'eau qui la vivifie. Le tonnerre, on ne le voit pas, on l'entend ; 
il en est de même pour le vent.
Mais, à la différence du tonnerre, le vent ne peut produire de sons par lui-même, il dépend pour cela des choses. Les sons qu'il produit, faibles, forts, purs ou troubles, agréables
ou irritants, varient selon les choses. Il ne pourrait tirer un son d'une stèle massive. Mais il gronde lorsqu'il se déchaîne dans une vide et profonde vallée, il mugit quand il soulève
des eaux mouvantes et dociles. Ici comme là, il ne parvient pas à un accord paisible et fait trembler d'effroi ceux qui l'entendent. C'est seulement avec les plantes et les arbres
que son accord est harmonieux. Mais si les feuilles sont trop grandes, le son est émoussé ; si elles sont trop sèches, le son est triste ; si elles sont malingres, le son est grêle. 
Aussi rien ne s'accorde mieux au vent que les pins.
Les pins ont un tronc droit et des branches recourbées, aux rameaux déliés et aux feuilles effilées. Ils prennent des formes extraordinaires ou s'étirent majestueusement en hauteur. 
Ils sont à la fois aériens et massifs, ébouriffés et délicatement ciselés. Le vent souffle sans obstacle à travers eux et produit une musique qui est celle de la nature même. 
A l'écouter, on est délivré de ses tourments et purifié de ses humeurs troubles. On se sent apaisé et détaché, l'esprit dilaté et le cœur léger. On s'envole dans les airs pour
se promener avec le créateur. Ceux qui aiment à vivre cachés dans les monts et les bois en éprouvent une joie plus intense encore et ne peuvent s'en éloigner.
Sur le Pic du Coq d'Or, il y a trois pins on ne sait combien de fois centenaires. Quand une brise les caresse, c'est une source qui chante, enfouie dans les galets. 
Quand le vent est un peu fort, c'est une musique noble et solennelle. Quand il souffle en tempête, c'est un déferlement de vagues ou un roulement de tambours au rythme grave et triste. 
Le moine Fangzhou a construit sous ces pins un ermitage qu'il a nommé le Pavillon du Vent dans les Pins. Passant un jour par là, je m'y arrêtai et fus si heureux que je ne pus songer
au retour. C'est un lieu de retraite qui n'est pas très éloigné des hommes, où il ne fait pas trop chaud en été, ni trop froid en hiver. Mes yeux se réjouissaient de contempler les pins et
mes oreilles de les entendre. Assis dans une pose nonchalante, je faisais le plus beau des voyages, vagabondant dans d'infinis lointains. Aucune intrusion du dehors ne perturbait
mon cœur. Je pouvais savourer ma joie et oublier le temps, sans avoir besoin de me laver dans la Ying pour me sentir pur, ni de monter sur le Shouyang pour me sentir élevé.
Mais, étant ce que je suis, enraciné dans le monde vulgaire, instable et inconstant, je ne pus parvenir, même en ce lieu, à l'extinction de mes passions. Aussi pris-je congé du moine,
et mon séjour au Pavillon du Vent dans les Pins ne se prolongera que dans ces notes, tracées le neuvième jour de la septième lune de l'an quinze de l'ère Zhizheng (1355).”


Liu Ji, “Le Pavillon du Vent dans les Pins” (dans “Les Formes du Vent, paysages chinois en prose”)

9 sept. 2009

09/09/09

“Comment saurait se bien rappeler son ignorance — chose que son développement réclame — celui qui a si souvent à employer son savoir ?”


Henri David Thoreau, “Walden ou la vie dans les bois

28 août 2009

20/08/09
Camisea 11.2.81
"De la vapeur se dégage à présent de la forêt, comme après mille ans de pluie.
Le fleuve coule au hasard devant lui. Une ombre montant de la forêt obscurcit le ciel. La lune, craintive, ne se risque pas à regarder derrière l'horizon. J'ai attaché mon bateau à des étoiles sèches et peureuses cette nuit. Des fruits inconnus sont tombés d'un arbre inconnu lorsqu'il a fait nuit noire, claquant sur le sol humide tout autour de ma maison."

Werner Herzog, "Conquête de l'inutile". 

27 août 2009

27/08/09
Lourde tout entière vêtue de noir la tête couverte d'un fichu noir elle traversa la plage déserte arrivée près du bord elle s'assit sur le sable fit asseoir l'enfant à côté d'elle après quoi elle resta là les deux mains posées un peu en arrière les bras en étais le buste légèrement renversé regardant la mer les jambes allongées croisées


à travers la trame de ses bas on pouvait voir sa peau très blanche elle portait des espadrilles noires aux semelles de corde effilochées barbues les cordons des espadrilles se croisaient noués par-derrière un peu plus haut que la cheville


dune qui dessinait deux bosses molles le fond du creux entre les deux coupé par la ligne horizontale de la mer grise le ciel au-dessus gris aussi plus clair toutefois : un plafond immobile de nuages aux ventres pâles boursouflés Sur le flanc lisse de la dune le vent avait dessiné des stries parallèles dans le sable sinueuses comme les veines d'une planche


Claude Simon, "La Chevelure de Bérénice"
27/08/09

(Vers 1935)
"Je circule dans une automobile qui est entièrement faite d'os. C'est un ancien modèle, le frein est à l'extérieur et il est fait d'un fémur."

(15 décembre 1935)
"Je suis suspendue à la branche d'un arbre et je tente en me balançant de ci, de là d'échapper à un puma qui essaie de m'attraper. Je parviens enfin à me hisser sur un escarpement élevé de la montagne. Je suis assise sur le seuil d'une maison. Mais le puma m'a déjà découverte et il arrive pour me dévorer. Je l'attrape par la tête et je lui casse deux molaires."


Meret Oppenheim, "Poèmes et Carnets"

11 août 2009

11/08/09
"Le temps ne passe pas, nous sommes ce qui passe."
Jorge Carrera Andrade

4 juil. 2009




" Longue indifférence. Je me réveille suspendue aux branches.


 Sauter à terre. Difficulté. Le sol ne se trouve pas juste sous


 les branches, les arbres sont penchés sur l'eau. On a mis des


 projecteurs pour les éclairer le soir. Je suis prise dans le faisceau


 de lumière. Je saute. Est-ce ainsi. ”




Danielle Collobert, "Dire I"

2 juil. 2009


"En même temps. Si tu t'appuies sur le bois du môle sous toi l'eau s'écoule, 


 et ruine le mur du palais, les premières marches. La ville s'enfonce peu à peu. 


 Destruction inconsistante, tu ne sais rien de cet affaissement, mince par en 


 dessous, la ville peu à peu disparaît. Dans du gris la pluie fine écorche le 


 canal. Les places dépouillées, désertes. ”




Danielle Collobert, "Dire I"

25 juin 2009

25/06/09


" ...Où en aveugle une fois de plus tu recommences
mais qui tu, et quel visage dans tous ces visages
qui s'avance, tu crois le reconnaître à cette voix
sortie de sa bouche, tu écoutes chaque syllabe,
tu vas comprendre, tu comprends un instant, tu oublies
et c'est de ça que tu te souviens, de cet éclat
où soudain toutes les lumières se réunissent,
toutes les poussières, où chaque chose est autre chose
et autre chose la même chose, l'identité
est un puits noir, rien n'y est identique, tu vois
en sortir des images, des formes, des contours,
tu dis, je tu on, on tu je, je tu, ou tu on,
jours, gestes, corps font un fleuve de reflets, ils dansent
se touchent, se perdent, tu dis voilà, c'est la vie "


Jacques Ancet, extrait du Chant XII 

4 juin 2009

04/06/09

" Ce n'est que le début   c'est
  juste   juste le début   le dé
  ce n'est que le dé   le   juste
  le début   juste   le début
  de  ma vie   de ma   juste le
  de    de ma   le dé   de ma
  de ma vie   ça   ce n'est que
  ça   ce n'est   c'est juste
  ça   le début   ça   de ma
  vie   ça   dis-moi ça   que
  ce n'est que le   juste ça   le
  début ça   de ma vie   ça
  commence   juste   ma vie
  ça commence   juste   ce
  n'est que le début de ma
  juste le dé   hein   dis-le
  moi   ça   juste ça   que
  ce n'est que le dé   qu'il y a
  plus   qu'il y a des   que ce
  n'est que le début   ça   dis-
  le moi   qu'il y a   après le
  dé   le coup de dé   après le
  coup de dé   qu'il y a  autre
  chose   que ça   ça   qui
  n'est que le début   que le
  lancer du dé   il y a autre
  chose   que ça   ça   qui
  n'est que le début   que le
  lancer du  dé   il y a autre
  chose   après le début   après
  le   après le lancer du dé
  les jeux seront faits   mais
  après   hein   après   les
  jeux seront faits   dis-le moi
  ça   qu'il y a encore   dis
  autre chose   dis   que ce
  début   autre chose   dis
  ce n'est pas commencé   rien
  n'est commencé   je n'ai pas..."


Emmanuel Adely, "Ce n'est que le début"

7 mai 2009

07/05/09
" A cet endroit furent entreprises des fouilles qui ne donnèrent pas grand chose, confirmant l'intuition de ceux qui ne s'étaient jamais demandé ce qu'il pouvait y avoir en dessous."


 Philippe Adam, , "France Audioguide