J'ai fait quelques pas sous la véranda de la nuit. Ce vent a changé,quoique venant toujours du sud,il souffle haut et fort maintenant, plus à ras de terre, mais venantdans le faîteélevé des érables, dans mon visage,claquant presque la porte de l'orage sur moi. Mais il est chaud, chaud,un vent de pneumonie, le vent de la mort de l'innocence, un vent déroulant,un vent élançant le temps. Et il a une voix dans la maison. J'entendsdes conversations qui ne peuvent avoir lieu, au-dessus, dans les chambreset je ne parle pas des fantômes. Les fantômes sont ici, bien sûr, maisils parlent clairement- ne leur ai-je pas offert nourriture et vin, ne les ai-je pas bien écoutés, toutesces années,non seulement ceux que je connus dans la vie, mais ceux d'avant notre époquede mépris de soi-même, ce jeu compliqué de la perte de l'innocence depuislongtempséchue ?
Adrienne Rich, "Un atlas du monde difficile" extrait de III.
éditions La Rumeur libre, 2019. Traduction de Chantal Bizzini