28 août 2013




"Dans les clairières on contemplait le ciel blanc, rêveur et paresseux qu’on avait l’impression de voir plonger et d’entendre jubiler comme des oiseaux jubilent, des petits oiseaux qu’on ne voyait jamais et qui s’intégraient naturellement à la nature. Des souvenirs revenaient et on ne voulait pas les analyser et les interpréter, on n’en était pas capable, cela faisait doucement mal, mais on était trop paresseux pour ressentir entièrement une douleur. On allait comme ça et puis on s’arrêtait à nouveau et puis on se tournait de tous les côtés, regardait au loin, vers le haut, au-delà, vers le bas, par-dessus et vers le sol, et puis on se sentait touché par l’immense langueur de cette floraison. Le bourdonnement dans la forêt n’était pas le bourdonnement dans la clairière plus nue, c’était différent et exigeait qu’on se place autrement pour de nouvelles rêveries. Il fallait toujours lutter avec cela, faire front, refuser en silence, réfléchir et hésiter. Car tout était hésitation, effort et sentiment de faiblesse. Mais c’était charmant comme ça, juste charmant, un peu pesant, et puis à nouveau un peu chiche, puis hypocrite, puis rusé, puis plus rien, puis complètement idiot ; finalement c’était très difficile de trouver encore quelque chose joli, on ne voulait pas s’y sentir obligé, on restait assis, on allait, on flânait, on errait, on marchait et on s’attardait comme ça, on était devenu un morceau de printemps."


Robert Walser "Les enfants Tanner", 1907