6 févr. 2017

« Ma maison a t-elle tenu, dans la dernière tempête ? » C’est une carte de vœux, au dos de la reproduction d’un de ses tableaux, Tremblement du temps. Beaucoup plus que l’image, c’est le tremblé de sa grande écriture qui saute aux yeux. « Je ne peux plus marcher, je ne reviendrai plus », dit-il.

Tout au fond de cette petite rue, c’est la dernière maison à gauche. C’était la maison d’un meunier autrefois. Au bout du mur de pierres sèches, sous l’arbuste au nom exotique, torturé par le vent, la barrière à claire-voie est restée entrouverte, il suffit de la pousser pour entrer dans le jardin minuscule, pris entre la maison et des appentis bas, quadrillé de cordes à linge. Il n’y a pas de volet sur la porte, vitrée à mi-hauteur. À l’angle d’un carreau est encore coincé le carton sur lequel il demandait si poliment au visiteur de ne pas frapper avant 16 heures. Sa grande écriture magnifique a été totalement bouffée par le soleil. En se penchant on voit dans l’ombre, entre la table et la cheminée, une silhouette claire : c’est sa veste de toile, enfilée sur le dossier du grand fauteuil de bois.
Il était assis là, en bras de chemise, une chemise d’un beau violet, roulant une cigarette, expliquant ce que l’avait séduit dans ce pays : « Cette lumière qui change tout le temps, qui se remet en question tous les quarts d’heure, ce vent qui compte autant que les rochers. Mais la lumière surtout : avant d’arriver, à des kilomètres on la reconnaît ! »

Il disait encore : « Cela n’existe pas, les vieux peintres : chaque nouvelle peinture est une naissance, une renaissance, on a l’âge de sa dernière peinture ! » Ces grandes toiles, ces éclairs bleus et rouges, entrechoqués, vibrants, ces déferlements, cette berlue : « Ah non, ce n’est pas abstrait ! » s’écriait-il. Il est vrai qu’à vélo, dans l’effort contre le vent, ou tout en haut d’une côte, parfois, on voit des Bazaine.

Jean-Pierre Abraham,  « Ici Présent »
éditions Le temps qu’il fait, 2001.