15 juil. 2017

« Un petit couteau de cuisine, acheté à Rimini, que tu portes avec toi.  Un tas de sable, quelques cailloux, quelques laisses de mer. La main façonne les volumes, malaxe l’informe, organise le vide en espace, en territoire. Puis le couteau dessine les angles, les portes, les fenêtres, les créneaux (pourquoi toujours la fortification : contre quelle menace ?) Les curieux, les enfants s’approchent. Tout le monde est fasciné par les châteaux de sable. Ce sont des maquettes. Ce sont des cartes, des souvenirs. Ce sont des possibles. Et tu es un doge, tu es un démiurge. Ici une calade, là un ponton ; il faut songer à la circulation de l’eau. Et puis il y a la mer. On construit rarement des châteaux de sable qui ne soient pas face à la mer. Les gradins des escaliers, couteau ; un ensemble de terrasses jardinées, couteau ; une nouvelle porte, une meurtrière, une fenêtre, couteau, couteau, couteau.

Les gens se poussent du coude. Une gamine apporte un crabe vivant, un gamin des coquillages, pour décorer les murailles, les parvis. Le château est de plus en plus grand, c’est une petite cité. Il faut encore des tunnels (les doigts dans le sable humide qui excavent, puis les doigts qui touchent d’autres doigts), et puis il faut des ponts, des arcades. Une bouteille enfouie fera une salle vitrée. Et que fait-on de l’eau ?

Si on les comprend finalement, les châteaux de sable, si donc on accepte que ces éminentes dentellières se réduisent à nouveau à une motte brute, puis enfin à une simple surface lissée par les ondes, on accueille d’autant mieux les images de ruine et de mort qui décorent aujourd’hui les civilisations du passé, amoncelées sous forme de villes. »


Benoît Vincent, GEnove villes épuisées
éd. Le nouvel Attila, Othello.