13 nov. 2018

Ainsi se pressaient à ma vue quantité de mouvements



Ainsi se pressaient à ma vue quantité de mouvements dont j'étais plein, dont j'étais débordant et depuis des années. Dans mes rêveries d'enfant, jamais, si je me souviens bien, je ne fus prince et pas souvent conquérant, mais j'étais extraordinaire en mouvements. Un véritable prodige en mouvements. Protée par les mouvements. Des mouvements dont, en fait, on ne voyait pas trace en mon attitude et dont on n'aurait pu avoir le soupçon, sauf par un certain air d'absence et de savoir m'abstraire.
Les animaux et moi avions affaire ensemble. Mes mouvements je les échangeais, en esprit, contre les leurs, avec lesquels, libéré de la limitation du bipède, je me répandais au-dehors... Je m'en grisais, surtout des plus sauvages (...)

Henri Michaux, "Dessiner l'écoulement du temps"
dans "Passages" (1937-1963)